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Coach en action - Une situation délicate…

Maria*, CRHA, conseillère en ressources humaines chez Système PTZ, reçoit le mandat de donner du coaching à Pierre, un gestionnaire dont on doute de la capacité à bien gérer son équipe. Le travail de Pierre a toujours été satisfaisant, mais son évaluation du rendement a longtemps été négligée par son supérieur. Durant sa rencontre avec ce dernier, elle réalise que Pierre est condamné d’avance. Et elle constate qu’elle a en fait le mandat de confirmer ce que la direction croit déjà et de protéger son employeur de tout recours possible de la part de Pierre à la suite de son congédiement, qui est déjà prévu. Que doit-elle faire?
* Nom fictif

5 janvier 2013
Fanie Dubuc et Claude Séguin, CRHA

L’ÉCLAIRAGE DÉONTOLOGIQUE - Une question d’indépendance professionnelle


Par Me Fanie Dubuc, coordonnatrice, normes professionnelles, Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

Voilà une situation à laquelle les CRHA et CRIA doivent souvent faire face dans l’exercice de leur profession. Dans le présent cas de figure, Maria connaît les mobiles non avoués de son mandataire et ce, avant même d’entreprendre son mandat de coaching de Pierre. Son employeur a l’intention formelle de congédier Pierre, qui est condamné d’avance. La situation pourrait aussi se présenter autrement : Maria pourrait prendre conscience des véritables objectifs de son employeur après avoir entamé son mandat. Mais quelle que soit l’hypothèse envisagée, elle est prise entre deux feux et doit d’abord se demander si son indépendance professionnelle est menacée.

Maria doit se rappeler que ses interventions ne doivent en aucun cas être influencées par un tiers et que ses décisions doivent demeurer objectives; elle doit donc faire preuve de vigilance devant des situations propices aux conflits d’intérêts. Son indépendance professionnelle peut être mise à rude épreuve entre autres dans des circonstances où elle pourrait être portée à préférer ses intérêts, à titre de CRHA, à ceux de son client et que son jugement et sa loyauté envers celui-ci pourraient en être défavorablement affectés.

Qui est le client de Maria? Là est aussi la question… Tant qu’elle n’a pas accepté le mandat et entrepris ses rencontres de coaching avec Pierre, c’est l’entreprise qui est le client de Maria. Par contre, si elle accepte le mandat, sa loyauté devra sans conteste aller à Pierre, qui deviendra alors son client.

Dans le présent cas, Maria n’a pas à expliquer sa situation à Pierre; le mandat n’étant pas amorcé, il n’est pas son client. Elle doit par contre faire clairement comprendre à son employeur – son client pour le moment – qu’il la met dans une situation où son indépendance professionnelle est menacée et qu’elle ne peut donc pas accepter le mandat. Elle doit lui démontrer expressément qu’elle ne peut exercer ce rôle tout en respectant ses obligations professionnelles.

En un mot, la liberté du CRHA ou du CRIA d’accepter ou de refuser un mandat devient un devoir déontologique lorsqu’il prend conscience qu’il devra, et ce, sans équivoque, enfreindre ses obligations professionnelles.

À retenir
  • Le membre doit sauvegarder en tout temps son indépendance professionnelle (art. 19 du Code de déontologie).
  • Le membre doit éviter toute situation où il serait en conflit d’intérêts (art. 19, paragraphe 3 du Code).
  • Le membre doit éviter d’accomplir une tâche contraire aux principes régissant l’exercice de sa profession (art. 19, paragraphe 2 du Code).
  • Le membre doit avoir une conduite irréprochable (art. 10 du Code).
  • Le membre est libre d’accepter ou de refuser un mandat (art. 18 du Code).
  • Si le membre a déjà entamé le mandat, mais qu’il constate après coup qu’il se trouve en situation de conflit d’intérêts, il peut mettre fin unilatéralement au mandat.

L’ÉCLAIRAGE DU PROFESSIONNEL - Une opportunité d’exercer son rôle-conseil

Par Claude Séguin, CRHA, conseiller principal, Claude Séguin Gestion-conseil & Formation.

Maria reçoit un mandat d’accompagnement de Pierre qu’elle doit pouvoir réaliser en toute sérénité et sans contrainte. Mais ce mandat de coaching comporte un objectif caché : le licenciement de Pierre à plus ou moins brève échéance.

D’autre part, à titre de conseillère en ressources humaines, Maria a un devoir de loyauté envers son employeur. Elle doit donc exercer un devoir de réserve dans ses rencontres avec Pierre, à qui elle ne peut divulguer aucun des renseignements qui lui sont confiés et qui seraient de nature à compromettre son employeur.

Toutefois, malgré le fait qu’elle soit une employée de Système PTZ, au moment où on lui accorde le mandat d’accompagner Pierre en coaching, c’est bel et bien Pierre qui devient son client. À ce titre, elle ne peut ni ne doit entreprendre aucune démarche allant à l’encontre des intérêts de Pierre. À titre de coach, elle doit le guider et l’amener à développer ses habiletés et compétences de gestion pour son bénéfice propre et celui de son employeur.

Mais peut-on servir deux maîtres à la fois? Maria peut-elle exercer son rôle de conseillère en ressources humaines au sein de son entreprise et de coach auprès de Pierre en considérant que les deux sont des employés de la même société? En situation normale, cela ne causerait pas de problème. Ce qui gêne ici, c’est que le mandat d’accompagnement comporte une intention cachée : le futur licenciement de Pierre. Maria doit pouvoir exercer ses rôles, soit conseillère en ressources humaines et coach, avec désintéressement et objectivité, sans conflit d’intérêts et en toute confidentialité.

Maria peut-elle se sortir de ce dilemme? La situation est délicate et presque inextricable.

Maria doit bien faire la distinction entre son rôle-conseil et son rôle de coach. Comme conseillère, elle a entre autres le devoir de renseigner son employeur sur les lois du travail et de le mettre en garde contre tout écart ou toute pratique allant à l’encontre des saines pratiques de gestion. Comme l’employeur lui demande d’endosser le rôle de coach, elle doit lui expliquer les obligations et les limites de ce mandat et, surtout, le sensibiliser au fait qu’elle ne peut exercer un tel rôle de façon à s’opposer aux intérêts de Pierre, quels qu’en soient les motifs.

Donc, comme on lui demande de participer à une procédure de licenciement déguisée, Maria ne peut pas assumer ce double rôle de façon sereine et sans contrainte. Cette façon de faire n’étant pas conforme à une bonne éthique de travail, elle doit refuser un tel mandat.

Pour aller plus loin... Des lectures en lien avec cette chronique, les extraits pertinents du Code de déontologie et divers compléments d’information se trouvent dans le portail de l’Ordre [www.portailrh.org/dpo].

Source : Effectif, volume 15, numéro 5, novembre/décembre 2012.


Fanie Dubuc et Claude Séguin, CRHA