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Enquête pour harcèlement psychologique. Quoi faire en cas de conflit d’intérêts?

Stéphane Gingras, CRHA, est directeur des ressources humaines chez ABC inc. Une plainte pour harcèlement psychologique vient d'être déposée par un salarié. La personne visée par cette plainte est un autre membre de l'équipe de direction. Responsable de l'application de la politique sur le harcèlement psychologique dans l'entreprise, Stéphane devra mener l'enquête qui met en cause son collègue. Il se demande comment agir dans cette situation délicate…

Karine Pelletier, CRHA | Sarah Thibodeau, avocate | Marc-André Robert, CRIA

Les conseillers en ressources humaines agréés peuvent être appelé à remplir divers rôles au sein d'une même organisation (médiateur, représentant de l'employeur, etc.). La première question que Stéphane doit donc se poser est la suivante : quel est mon rôle auprès des employés et de la direction? En l'espèce, il s'agit d'agir en toute indépendance et au bénéfice ultime des personnes. On comprend donc le malaise de Stéphane. En soi, avoir à gérer une situation de harcèlement psychologique n'est pas chose facile. Le problème est accentué par le fait qu'une des parties impliquées est un proche collègue. Tout de suite, l'indépendance professionnelle de Stéphane, nécessaire dans ce genre d'enquête, pourrait être remise en question.  

Le Code de déontologie de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés prévoit que ses membres doivent sauvegarder leur indépendance professionnelle et éviter toute situation où ils seraient en conflit d'intérêts. L'indépendance professionnelle est le fait d'exercer sa profession avec objectivité et d'ignorer toute intervention d'un tiers qui pourrait influencer l'exécution de ses fonctions au préjudice du client. Un membre est en conflit d'intérêts lorsque les intérêts en présence sont tels qu'il peut être porté à préférer certains d'entre eux à ceux du client ou que son jugement et sa loyauté envers celui-ci peuvent en être défavorablement affectés. Les intérêts peuvent être de nature personnelle ou autre. Le conflit peut être réel, potentiel ou apparent.  

Stéphane est ou semble être ici en situation de conflit d'intérêts. Son Code de déontologie prévoit dans une telle situation qu'il en avise sans délai la partie plaignante et la partie mise en cause et qu'il leur demande si elles l'autorisent à poursuivre son mandat. Il pourra continuer son travail si les personnes concernées n'y voient pas d'inconvénients. Un consentement par écrit serait la meilleure pratique à adopter.  

Mais si Stéphane sent qu'il ne pourra être objectif dans la réalisation de ce mandat ou qu'il continue d'être mal à l'aise dans ce rôle, que peut-il faire?

Selon son Code de déontologie, Stéphane est libre d'accepter ou de refuser un mandat. S'il était consultant, il aurait davantage de marge de manoeuvre à cet égard. Toutefois, en tant que salarié d'une entreprise, il doit adopter une position plus nuancée. Ainsi, il ne peut pas simplement refuser le mandat que son employeur désire lui confier, mais plutôt exercer pleinement son rôle-conseil en lui signalant les inconvénients de cette situation.  

À supposer que la question du conflit d'intérêts soit réglée et que Stéphane poursuive le mandat, il devra mener l'enquête dans un délai raisonnable, agir avec courtoisie et objectivité. Pour décider si la situation dénoncée constitue ou non du harcèlement psychologique, il devra chercher à avoir une connaissance complète des faits, en faire l'analyse et préparer un rapport d'enquête exhaustif.  

Le respect de ces règles déontologiques de base non seulement permettra à Stéphane de préserver son indépendance professionnelle et d'éviter toute situation de conflit d'intérêts, mais contribuera certainement aussi à l'amélioration du climat de travail dans l'entreprise…

À retenir

  • Éviter toute situation de conflit d intérêts ou d apparence de conflit.
  • Rechercher l'accord des parties impliquées pour compléter le mandat.
  • Exercer son rôle conseil auprès de son employeur.

LA DÉONTOLOGIE EN ACTION

Mieux vaut prévenir que guérir

Par Marc-André Robert, CRIA, associé et avocat, Global Ressources Humaines

Stéphane devra toujours prioriser les intérêts de son employeur en se retirant des situations susceptibles de mettre en conflit ses propres intérêts et ceux de chacune des personnes impliquées dans le traitement d'un dossier particulier. Afin d'être en mesure de remplir adéquatement son rôle de professionnel de la gestion des ressources humaines, il devra reconnaître ses limites d'intervention et en aviser promptement les acteurs concernés par son enquête.

Il obtiendra d'autant plus de crédibilité dans le cadre de sa fonction qu'il aura soulevé dès le début de son intervention le conflit d'intérêts potentiel, démontrant ainsi son sens de l'éthique et son professionnalisme.

La situation de conflit ou d'apparence de conflit est ici amplifiée, puisque le harceleur allégué est non seulement un membre de la direction, mais également un proche collègue de Stéphane. Il va sans dire que l'objectivité et l'indépendance de Stéphane seront, à tort ou à raison, mises en question dès le début du processus d'enquête, et ce, indépendamment du professionnalisme dont il fait preuve. Le plaignant pourrait accepter que Stéphane continue de diriger l'enquête après avoir révélé son étroite relation avec la personne visée par la plainte; mais la forte apparence de conflit d'intérêts pourrait avoir un impact négatif sur la perception des résultats de l'enquête. Nous engagerions alors Stéphane à se retirer du processus d'enquête.

Ce n'est pas parce qu'un professionnel se déclare inapte à mener une enquête pour harcèlement en raison d'une apparence de conflit d'intérêts qu'il est pour autant partial et incompétent dans ses fonctions. Bien au contraire, reconnaître un conflit d'intérêts potentiel est un geste d'une grande sagesse professionnelle.

Dans l'éventualité où Stéphane demeurerait saisi de l'enquête, même si sa démarche était totalement impartiale et que les conclusions de son rapport faisaient complètement abstraction de sa relation avec son proche collègue, le doute risquerait tout de même de subsister. Ce doute serait évidemment amplifié si le plaignant n'avait pas gain de cause, et ce, sans égard à la qualité du raisonnement et du bien-fondé des conclusions du rapport d'enquête de Stéphane.

Afin d'éviter les conséquences de cette fâcheuse perception et le risque de voir son rapport d'enquête contesté par le plaignant en arbitrage de grief ou devant un commissaire du travail pour cause de manque d'indépendance ou d'objectivité, nous recommandons à Stéphane de confier l'enquête et l'analyse de la plainte à l'un des membres de son service ou à un consultant externe. Cette précaution lui évitera d'avoir à justifier non seulement le bien-fondé de ses conclusions, mais également la qualité de son éthique professionnelle. 


Karine Pelletier, CRHA | Sarah Thibodeau, avocate | Marc-André Robert, CRIA