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Le devoir d’information auprès des clients ou de l’employeur : jusqu’où peut-on aller?

L’automne dernier, nous avons lancé un Appel à tous dans le bulletin Vigiexpress, afin d’apprendre comment les CRHA et les CRIA concilient leur obligation de préserver la confidentialité de certains renseignements et leur obligation de loyauté envers leur employeur.

Sarah Thibodeau | André Sasseville

Les résultats sont intéressants et nous invitent à réfléchir sur les nouvelles pratiques à adopter pour mieux concilier ces obligations qui semblent à première vue contradictoires. C’est ce que nous comptons faire dans ce numéro du bulletin De premier ordre.

Principaux résultats du sondage

Premier constat, presque tous les répondants reçoivent, dans le cadre de leurs fonctions, des renseignements confidentiels venant du personnel (98,63 %) et des membres de la direction (97,95 %).

À cet égard, 69 % de répondants mentionnent que les employés leur confient des informations confidentielles qui entrent en conflit avec leurs obligations envers la direction. À l’opposé, 56,16 % indiquent qu’il leur arrive de recevoir de la direction des renseignements inconciliables avec leurs responsabilités à l’égard des employés de l’entreprise.

Autre constat, 30 % des répondants disent subir des pressions de la part de tiers qui cherchent à obtenir des renseignements confidentiels obtenus dans le cadre de leur travail. Les renseignements les plus souvent demandés sont de nature médicale (état de santé général, nature de la maladie lors d’une absence ponctuelle ou d’une invalidité longue durée, dossier CSST, etc.). La vie privée des gens (par exemple, les relations amoureuses) et le contenu des échanges confidentiels (version des faits d’un témoin au cours d’une enquête pour harcèlement psychologique, entrevue de départ) font aussi l’objet de demandes. Enfin, des détails sur des renseignements de gestion sont aussi demandés (salaires, nom des candidats à un poste, coupure de poste, etc.).

Par ailleurs, 71 % des répondants affirment que la direction ou des gestionnaires demandent rarement (41 %), à l’occasion (23 %) ou régulièrement (7 %) que leur soit divulgué le contenu des échanges confidentiels avec d’autres employés. Devant ces demandes, 78 % des répondants disent évaluer au cas par cas s’ils doivent divulguer ou non cette information à la direction. Pour leur part, 15 % estiment qu’ils n’ont aucune obligation de livrer à l’entreprise les renseignements confidentiels provenant des employés même si elles vont à l’encontre des intérêts de l’entreprise.

Enfin, 41 % des répondants mentionnent s’être déjà trouvés dans une situation de conflit d’intérêts entre leur devoir de loyauté envers leur employeur et le secret professionnel auquel ils sont tenus envers les personnes qui les consultent.

Rappel de la problématique

Lorsqu’il exerce sa profession, le CRHA ou CRIA peut avoir des obligations envers deux parties : la direction et les employés. En termes déontologiques, le mot « client » désigne en effet toute personne qui requiert des services professionnels, peu importe qu’il s’agisse d’un patron, d’un collègue, ou d’un subalterne.

Cela peut paraître surprenant, mais un employé qui s’adresse à un CRHA ou CRIA dans l’exercice de sa profession est un client, avec toutes les obligations qui y sont reliées. Le mandat peut être ponctuel, sporadique et de courte durée : l’employé demeure le client du CRHA ou CRIA, même si ce n’est que brièvement et à des fins très spécifiques.

On devine donc que vous pouvez vous retrouver de temps à autre dans une situation de conflit d’intérêts... Ce qui a comme effet de vous imposer certaines mesures de divulgation de ces conflit d’intérêts et d’information.

La nature juridique de la relation avec vos clients

Lorsqu’un client consulte un CRHA ou un CRIA, la nature du lien les unissant est le mandat (article 2130 et suivants du Code civil du Québec). Ces articles prévoient des obligations similaires à celles du Code des professions et du Code de déontologie relativement au devoir d’information et de divulgation des conflits d’intérêts.

Ainsi, selon l’article 2138 du Code civil, en tant que CRHA ou CRIA, vous êtes tenu d’accomplir le mandat que vous avez accepté et d’agir avec prudence et diligence dans son exécution.

Vous devez également agir avec honnêteté et loyauté dans le meilleur intérêt de votre client et éviter de vous placer dans une situation de conflit entre votre intérêt personnel et celui de votre client.

Par ailleurs, selon l’article 2139 du Code civil, vous êtes tenu, à la demande de votre client ou lorsque les circonstances le justifient, de l’informer de l’état d’exécution du mandat.

Également, si vous acceptez de représenter, pour un même acte, des parties dont les intérêts sont en conflit ou susceptibles de l’être, vous devez en informer chacun des clients, à moins que l’usage ou leur connaissance respective du double mandat ne vous en dispense, et vous devez agir envers chacun d’eux avec impartialité (article 2143).

Qui plus est, le client qui n’était pas en mesure de connaître le double mandat peut, s’il en subit un préjudice, demander la nullité de l’acte du mandataire.

Vos obligations en tant que professionnel

Le code de déontologie est d’ordre public, c’est-à-dire qu’il a préséance sur toute autre obligation, par exemple celles qui découlent du contrat de travail.

De plus, les règles déontologiques peuvent faire partie du contenu implicite du contrat de travail du professionnel. En effet, l’article 1434 du Code civil du Québec énonce que : « Le contrat valablement formé oblige ceux qui l’ont conclu non seulement pour ce qu’ils y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi. »

Plusieurs facteurs doivent être pris en considération avant d’inclure automatiquement un code de déontologie à un contrat de travail, notamment : le poste auquel le professionnel a posé sa candidature, les exigences de ce poste (obligation d’être membre d’un ordre professionnel), le type de travail effectué (pertinence du lien entre le travail demandé et le titre professionnel), le paiement de la cotisation du professionnel par l’employeur, etc.

Il est intéressant de rappeler ici que la cotisation de 80 % des membres de l’Ordre des CRHA et CRIA du Québec est payée par leur employeur…

Le secret professionnel…

Le secret professionnel a deux raisons d’être. Dans un premier temps, il est essentiel à la relation de confiance entre le professionnel et son client, sinon une partie des faits pourrait être laissée dans l’ombre, rendant le travail ainsi que les résultats de la consultation incomplets. Les deux parties ont l’obligation d’information, le CRHA ou CRIA au sujet de son travail et le client sur ce qui l’amène à consulter le professionnel.

Le secret professionnel est une obligation importante et très contraignante qui n’est plus l’apanage exclusif de l’avocat et du médecin, mais qui s’applique à tout professionnel. La Charte des droits et libertés de la personne en fait un droit fondamental énoncé dans son article 9 :

« 9. Chacun a droit au respect du secret professionnel.

Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu’ils n’y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi.

Le tribunal doit, d’office, assurer le respect du secret professionnel. »

…et l’interdiction d’être en conflit d’intérêts

Outre le secret professionnel, le CRHA ou CRIA doit aussi éviter toute situation de conflit d’intérêts. Le Code de déontologie des CRHA et CRIA définit le conflit d’intérêts comme suit, à l’article 19 :

« Lorsque les intérêts en présence sont tels qu’il (le membre) peut être porté à préférer certains d’entre eux à ceux du client ou que son jugement et sa loyauté envers celui-ci peuvent en être défavorablement affectés ».

Cette obligation impose le devoir connexe d’informer le client d’un tel conflit, et ce, sans exception, car il y a nécessité de transparence.

...imposent le devoir d’informer adéquatement

Voici comment le Code de déontologie définit votre devoir d’information en tant que CRHA ou CRIA.

Selon l’article 17 du Code, s’il fait face à des intérêts divergents, ce qui est souvent le cas s’il a à la fois l’employeur et l’employé comme client, le CRHA ou CRIA doit « préciser la nature de ses fonctions ou de ses responsabilités et doit tenir toutes les parties intéressées informées qu’il cessera d’agir si la situation devient inconciliable avec son devoir d’indépendance ».

D’autre part, le CRHA ou CRIA doit, si le bien du client l’exige et avec l’autorisation de ce dernier, consulter un autre membre de l’Ordre, un membre d’un autre ordre professionnel ou toute autre personne compétente ou le diriger vers l’une de ces personnes (article 36 du Code de déontologie). Cet article pourrait donc l’emmener à transmettre un dossier à un collègue. S’il y a un conflit d’intérêts concret (pas simplement une possibilité de conflit), le bien du client pourrait être de l’adresser à un collègue qui ne se trouve pas dans une telle situation et qui serait en mesure de mieux l’aider.

Quoi qu’il en soit, dès qu’il constate la situation de conflit d’intérêts, le CRHA ou CRIA doit en aviser le client et lui demander s’il l’autorise à continuer son mandat (article 37 du Code).

En plus des avis et des conseils, le CRHA ou CRIA doit fournir au client les explications nécessaires à l’appréciation et à la compréhension des services professionnels qu’il lui fournit (article 41 du Code). Et il doit aussi s’assurer que cela a été compris par le client.

Et vos obligations en tant qu’employé dans tout ça?

Les obligations de l’employé découlent de son contrat de travail. Plus précisément, l’article 2088 du Code civil lui impose un devoir de loyauté envers son employeur. Cette obligation de loyauté est une obligation la plupart du temps négative, c’est-à-dire qu’elle a été interprétée dans la jurisprudence comme étant une obligation de ne pas faire (ne pas faire preuve de malhonnêteté, ne pas utiliser de l’information confidentielle obtenue pendant l’emploi, ne pas faire compétition à l’employeur, etc.). La jurisprudence a aussi défini l’obligation de l’employé comme étant un devoir de probité, de droiture, d’honnêteté, de bonne foi et de fidélité. Par contre, ce devoir ne va jamais jusqu’à devenir une obligation de dénonciation.

Cette obligation de loyauté de l’employé comporte son lot de zones grises, c’est-à-dire que le poste occupé par l’employé peut imposer des obligations plus contraignantes que celles que nous venons de mentionner. L’employé qui est membre de la haute direction peut être considéré comme mandataire, tout dépendant du contexte : si on lui a attribué des responsabilités et une autorité substantielles (niveau hiérarchique et décisionnel) par exemple.

Dans le cas d’un CRHA ou CRIA, s’il est le seul en poste et qu’il relève directement de la haute direction (ou s’il en fait partie), il est concevable que son obligation de loyauté soit plus importante que celle d’un CRHA ou CRIA dont le supérieur hiérarchique est un gestionnaire des ressources humaines. Dans ce dernier scénario, il est un employé n’ayant qu’une obligation « négative » de loyauté et il n’y a pas de conflit d’intérêts entre ses obligations contractuelles et professionnelles.

Selon une auteure1 : « À notre avis, quoique la situation soit plus facile à régler en théorie qu’en pratique, la solution s’impose, en raison du caractère d’ordre public des obligations rattachées à la primauté des intérêts du client qui fait affaire avec un professionnel : à défaut de pouvoir concilier les deux, le professionnel doit faire primer les intérêts du client sur ceux de l’employeur, tout comme il doit faire primer son autonomie professionnelle. »

Si vous êtes déchiré entre vos deux rôles au sein de votre organisation, la solution est peut-être d’expliquer franchement, clairement et immédiatement les limites de votre secret professionnel, afin d’éviter de vous sentir coincé. Il faut vous assurer auprès de votre client qu’il est pleinement informé des utilisations éventuelles des renseignements confidentiels qui vous sont dévoilés. Vous devriez donc adopter une démarche proactive basée sur votre devoir d’information envers vos mandants, qu’ils soient l’employeur ou l’employé, afin d’éviter de décevoir les attentes des clients et d’avoir à expliquer, une fois que le mal est fait, la véritable étendue de vos obligations.

Donc, pour le professionnel, l’objectif n’est pas tant de déterminer quelle obligation l’emportera sur l’autre que d’éviter de se trouver dans une situation où il sera tiraillé entre deux parties.

Bref, il faut éviter de se trouver dans une situation où il y a impossibilité de respecter les deux régimes, si deux régimes il y a. Il faut garder à l’esprit qu’un simple employé n’a pas d’obligation de dénonciation et que c’est seulement dans une situation de double mandat qu’il y aura conflit d’intérêts. Il ne faut pas non plus croire que toute situation conflictuelle peut être évitée : il y aura des situations où le CRHA ou CRIA sera en possession d’informations confidentielles qu’il devra taire, malgré son embarras à l’égard de certaines personnes (collègues ou patrons), à la suite de la divulgation de renseignements dont il aurait préféré ne pas avoir connaissance.

Agir de bonne foi

De plus, le Code civil du Québec impose aussi l’obligation plus générale de bonne foi, aux articles 6 et 7. Ces dispositions dictent au professionnel l’obligation de ne pas pratiquer sa profession de mauvaise foi. En voici un exemple.

Un employé approche le professionnel membre de l’Ordre et lui révèle certains faits, sans que ce dernier ait pu le mettre en garde contre les limites de son secret professionnel. Un professionnel de bonne foi pourrait avertir l’employé de ces limites et faire comme s’il n’avait pas eu connaissance de ces faits, alors qu’un professionnel de mauvaise foi pourrait s’empresser de les révéler à l’employeur et ainsi briser le lien de confiance qu’il avait avec l’employé. Une telle situation est très ambiguë et il est important de trouver un équilibre entre deux extrêmes : le professionnel n’est pas l’indicateur du patron, sans pour autant être le complice des employés.

Les pistes à explorer

Lorsque le CRHA ou CRIA travaille pour des parties aux intérêts opposés, il devrait préciser la nature de ses fonctions ou de ses responsabilité et tenir toutes les parties intéressées informées qu’il cessera d’agir si la situation devient inconciliable avec son devoir d’indépendance. Cela veut dire révéler les limites du secret professionnel en plus d’informer ses clients sur sa situation de double mandataire.

Le client pourrait s’objecter à poursuivre le mandat avec lui et son devoir serait alors d’adresser le client à un collègue de l’extérieur de l’entreprise. Si le client comprend et accepte les limites du secret professionnel ainsi que la situation de conflit d’intérêts, le lien professionnel peut se poursuivre.

Une autre solution envisageable pour rendre toutes les parties plus à l’aise serait que l’employeur relève le CRHA ou CRIA de son obligation d’agir dans le meilleur intérêt de l’entreprise lorsqu’il est en relation de consultation ou de coaching avec un employé.


Sarah Thibodeau
Membre du Barreau, Sarah Thibodeau occupe le poste de directrice, qualité de la pratique à l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. À ce titre, elle est fréquemment appelée à donner des conférences ou à rédiger des articles sur les diverses facettes de l'exercice d'une profession. Me Thibodeau est titulaire d'une maîtrise en droit du travail de l'Université du Québec à Montréal.

Author
André Sasseville Avocat Langlois Avocats, s.e.n.c.r.l.

Associé chez Langlois avocats, André Sasseville, CRIA travaille depuis le début de sa pratique en droit du travail et de l’emploi. Il agit comme conseiller stratégique et porte-parole d’employeurs de tous les secteurs, dans le contexte d’interprétation et de négociation de conventions collectives ainsi que dans la mise en œuvre de changements touchant l’organisation des ressources humaines, incluant les mises à pied collectives et les changements technologiques. Me Sasseville conseille régulièrement les entreprises dans la négociation et la formulation des contrats d’emploi de leurs dirigeants et cadres. Il agit aussi devant les tribunaux civils, en première instance, et devant les juridictions d’appel, dont il connaît non seulement les procédures, mais les pratiques et les rouages. Il a agi dans plusieurs centaines de litiges touchant les pratiques d’emploi, les régimes de retraite, les devoirs fiduciaires et la responsabilité des administrateurs. Médiateur accrédité, Me Sasseville a développé et mis en œuvre des méthodes efficaces de prévention et de résolution de différends applicables spécifiquement aux conflits interpersonnels au travail et aux situations de harcèlement psychologique. Il fait partie d’un groupe restreint de médiateurs familiers avec le processus de partenariat dans la résolution de conflits affectant les groupes de travail. Comptant de nombreuses années d’expérience comme chargé de cours et formateur, il offre à sa clientèle des programmes de formation sur mesure en entreprise sur des sujets spécifiques à la gestion des ressources humaines, à la prévention des différends et aux relations du travail. Me Sasseville est membre du conseil d’administration de l’Ordre des CRHA, dont il a assumé le rôle de syndic de 2006 à 2011.


Source : Source : De premier ordre, Janvier 2007 – Vol. 9 N°1