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Être un professionnel salarié... tout un défi!

Pourquoi des règles déontologiques?

Me Martine Gervais | Me Tina Hobday

Nous vivons dans un monde en proie à de profonds bouleversements, marqué depuis quelques années par des scandales de toutes sortes. La société québécoise, de plus en plus cosmopolite, n’échappe pas à ce remue-ménage. Dans ce contexte troublé, on ne se surprendra pas que la confiance des citoyens envers les professionnels, quel que soit leur domaine, se soit peu à peu effritée.

L’adhésion du CRHA ou CRIA à des valeurs déontologiques est d’autant plus précieuse qu’elle contribue en quelque sorte à restaurer cette confiance du public. Précisons que les normes déontologiques tirent leur origine de trois sources : la Charte des droits et libertés de la personne, le Code des professions et le Code de déontologie.

Rappelons par ailleurs que le Code des professions du Québec oblige tous les ordres professionnels à se doter d’un code de déontologie afin de remplir leur mission principale de protection du public.

Le Code de déontologie de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés est donc une référence incontournable et essentielle qui contient les devoirs du membre envers le client, la profession et le public.

En termes déontologiques, le mot « client » désigne autant un client au sens courant qu’un employeur à qui l’on rend des services professionnels. En effet, interpréter le terme client autrement ferait en sorte que les professionnels salariés cesseraient d’être considérés comme de véritables professionnels. Ainsi, le Code de déontologie s’applique aussi à un professionnel salarié et il appartient à chacun de faire les adaptations nécessaires suivant sa situation.

Agir dans l’intérêt de son client : facile à dire, facile à faire?

Dans la chronique Question d’éthique du magazine Effectif (vol. 7, n° 5, disponible à Ah non! Encore un changement?), on affirmait dernièrement que « le conseiller en ressources humaines agréé (CRHA) qui œuvre dans une entreprise peut […] avoir un client différent selon la nature de son intervention ».

Cela peut-il poser problème?

Lorsque les intérêts de ses clients s’opposent, le conseiller ne se trouve-t-il pas en situation de conflits d’intérêts? En pareille circonstance, n’est-t-il pas déchiré entre ses diverses obligations professionnelles et déontologiques, soit agir dans l’intérêt de son client, demeurer loyal envers son employeur, respecter son secret professionnel, préserver son indépendance professionnelle et finalement respecter les termes de son contrat d’emploi?

D’aucuns pourraient répliquer que la solution à ce problème est prévue à l’article 37 du Code de déontologie des conseillers en ressources humaines agréé et des conseillers en relations industrielles :

« Dès qu’il constate qu’il se trouve dans une situation de conflits d’intérêts, le membre doit en aviser le client et lui demander s’il l’autorise à continuer son mandat. »

Toutefois, pour en arriver à déterminer que cette disposition du Code de déontologie s’applique, le CRHA ou CRIA a franchi plusieurs étapes d’un processus de réflexion qui lui a permis de déterminer qu’il était en situation de conflits d’intérêts, ce qui n’est pas toujours évident à cerner.

Prenons l’exemple suivant :

Daniel est le conseiller en ressources humaines de la compagnie ABC inc. Un jour, Albert, employé de ABC, demande à Daniel des renseignements sur le régime de retraite offert par l’entreprise. Qui est le client de Daniel? ABC inc. ou Albert? La semaine suivante, le directeur général de ABC inc. demande à Daniel d’infliger une mesure disciplinaire à Albert pour avoir été impliqué dans une bagarre. Qui est le client de Daniel? ABC inc. ou Albert?

Les réponses à ces questions semblent, somme toute, évidentes pour l’instant : Albert est le client de Daniel lorsque ce dernier le conseille sur le régime de retraite de l’entreprise, mais ABC inc. est sa cliente lorsqu’il doit imposer une mesure disciplinaire à Albert.

Précisons que Daniel est en mesure d’agir pour l’un et l’autre, car les intérêts de ses deux clients sont distincts et non opposés.

Toutefois, qu’en serait-il si Albert avait consulté Daniel pour lui confier son problème d’alcool, à l’origine notamment de la bagarre pour laquelle il est sanctionné?

Les intérêts de ses deux clients sembleraient alors opposés… Que faire?

Que faire avant d’intervenir?

En tant que gestionnaire en ressources humaines ou en relations industrielles, vous devez non seulement favoriser l’établissement de relations du travail harmonieuses et productives, mais aussi gérer tous les autres aspects de l’environnement de travail dans l’entreprise. Pour ce faire, tout CRHA et CRIA devrait se poser les questions suivantes dans l’exercice de sa profession :

  • Qui est mon client?
  • Ai-je un intérêt personnel dans ce qui m’a été confié?
  • Quelle est l’étendue de mon mandat?
  • Les intérêts de mes clients sont-ils opposés?
  • Mon indépendance professionnelle est-elle mise en péril?
  • Les confidences reçues sont-elles protégées par le secret professionnel?

Pour vous CRHA ou CRIA …

Vous pouvez répondre aisément à certaines de ces questions, à la lumière des dispositions de votre Code de déontologie, de votre contrat d’emploi et du Code civil du Québec. D’autres nécessitent plus de réflexion et n’ont pas de réponses claires et précises.

Agir dans l’intérêt de votre client

Vous devez agir dans le meilleur intérêt de votre client. Le Code de déontologie des CRHA et des CRIA prévoit en effet aux articles 14 et 15 :

  • 14. Le membre doit subordonner son intérêt personnel à celui du client.
  • 15. Le membre doit faire preuve de désintéressement et d’objectivité lorsque des personnes autres que des clients lui demandent des informations. »

Vous devez également, et cela est clairement indiqué à l’article 38 de votre Code de déontologie, informer votre client des démarches que vous effectuez pour remplir votre mandat. Vous devez aussi le tenir au courant de tous faits nouveaux qui pourraient modifier l’ampleur ou les modalités de vos interventions et obtenir son consentement à chaque étape du processus.

De plus, si au cours de l’exécution de votre mandat, des renseignements de nature confidentielle vous sont confiés, vous devez clarifier votre rôle et vos fonctions avec celui qui vous consulte. Vous devez, comme le stipule l’article 51 de votre Code de déontologie, vous : « abstenir de faire usage de tels renseignements au préjudice du client ou en vue d’obtenir, directement ou indirectement, un avantage… » La transparence est donc la meilleure approche à adopter.

Maintenir son indépendance professionnelle

Le CRHA ou le CRIA doit également agir de façon indépendante, peu importe les circonstances. Les articles 17 et 19 de votre Code de déontologie prévoient cette obligation :

17. Le membre ne doit généralement agir, dans la même affaire, que pour une partie représentant les mêmes intérêts. Si ses devoirs professionnels exigent qu’il agisse autrement, le membre doit préciser la nature de ses fonctions ou de ses responsabilités et doit tenir toutes les parties intéressées informées qu’il cessera d’agir si la situation devient inconciliable avec son devoir d’indépendance.

19. Le membre doit sauvegarder en tout temps son indépendance professionnelle. Il doit, notamment :

  1. ignorer toute intervention d’un tiers qui pourrait influer sur l’exécution de ses obligations professionnelles au préjudice du client;
  2. éviter d’accomplir une tâche contraire à sa conscience professionnelle ou aux principes régissant l’exercice de sa profession;
  3. éviter toute situation où il serait en conflit d’intérêts.

« Sans restreindre la généralité de ce qui est mentionné au paragraphe 3 du premier alinéa, un membre est en conflit d’intérêts lorsque les intérêts en présence sont tels qu’il peut être porté à préférer certains d’entre eux à ceux du client ou que son jugement et sa loyauté envers celui-ci peuvent en être défavorablement affectés. »

Ainsi, même si, en vertu de l’article 2088 du Code civil du Québec, l’employé a un devoir de loyauté envers son employeur, le CRHA ou le CRIA salarié est toujours soumis à ses obligations déontologiques, qui primeront sur son obligation de loyauté envers son employeur; et il doit s’assurer de toujours agir dans le meilleur intérêt de son client.

Considérons à titre d’exemple l’affaire Corporation professionnelle des infirmières et infirmiers c. McLeod-Doucet ([1992] D.D.C.P. 93).

Dans cette affaire, l’hôpital employeur, avec le consentement des parents, avait décidé de cesser les traitements prodigués à un nouveau-né souffrant de plusieurs malformations congénitales et du syndrome de Down. Estimant que cette décision n’allait pas dans le sens des intérêts de l’enfant, l’infirmière fit un certain nombre de démarches auprès d’une spécialiste en matière d’éthique et de la DPJ pour dénoncer cette décision. Cela n’empêcha toutefois pas le décès de l’enfant. Le comité de discipline, tout en trouvant l’infirmière coupable d’avoir violé le secret professionnel, l’a félicitée pour avoir fait preuve d’une autonomie professionnelle remarquable en s’insurgeant contre une situation qui lui paraissait discutable.

Ainsi, lorsque le CRHA ou CRIA réalise qu’il est dans une situation de conflit d’intérêts ou que son indépendance professionnelle est mise en question, il doit aviser les parties concernées de ce fait et prendre les mesures nécessaires pour rectifier la situation, même si cela peut exiger de lui de mettre fin au mandat confié par un client. C’est ce que stipule l’article 47 de votre Code de déontologie :

47. Le membre ne doit pas mettre fin unilatéralement à un mandat confié par un client, sauf pour un motif juste et raisonnable.

« Constituent notamment des motifs justes et raisonnables :

1º le fait que le membre soit en situation de conflit d’intérêts ou dans un contexte tel que son indépendance professionnelle pourrait être mise en doute; (…) »

Une problématique commune à toutes les professions

Depuis quelques années, de nombreux ordres professionnels sont préoccupés par la situation dans laquelle sont placés les professionnels œuvrant dans une entreprise, comme en font foi les exemples suivants.

D’abord, l’affaire Dembri c. Ordre professionnel des psychologues ([1999] Q.C.T.P. 013). Madame Dembri, employée de l’Institut Philippe-Pinel, rencontre des patients dans le cadre de son travail de psychologue. Après avoir effectué une expertise sur un patient, elle présente le matériel de test utilisé à divers membres du personnel et est par la suite poursuivie en déontologie pour avoir enfreint le secret professionnel. Le comité de discipline l’a reconnue coupable et a affirmé que, dans ce contexte, le client était le patient et non l’Institut, même si la psychologue exerçait sa profession à l’emploi d’un établissement.

Cette situation est illustrée encore plus clairement dans l’affaire Breton c. Comité de discipline de l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux ([2003] R.J.Q. 914 (C.S.). Dans cette affaire, monsieur Bonneau est travailleur social au sein des Forces armées canadiennes. Un jour, un militaire vient le rencontrer et lui révèle qu’il consomme de la drogue et de l’alcool. Invoquant son statut de travailleur social militaire, monsieur Bonneau informe le militaire qu’il doit dévoiler cette situation à sa supérieure, ce qui entraîne par la suite la suspension du militaire en question. Une plainte disciplinaire a été déposée devant le comité de discipline de l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux. À ce jour, aucune décision finale n’a été rendue dans ce dossier par le comité de discipline, mais il sera certainement très intéressant de connaître les développements à ce sujet.

Dans votre pratique en entreprise …

Les problématiques soulevées concernent principalement les CRIA ou CRHA employés d’une entreprise, plutôt que ceux qui travaillent à leur compte ou au sein d’une entreprise de consultation. En effet, le CRHA ou CRIA non salarié n’a pas à gérer la dynamique relationnelle employeur-employé de même que les incertitudes pouvant surgir sur l’étendue de son rôle en tant que conseiller auprès des employés.

Notons aussi que le CRHA ou CRIA salarié peut plus souvent se retrouver dans une situation conflictuelle, car l’employé qui vient le consulter se méprend sur ses obligations et fonctions. En effet, il arrive que l’employé s’adresse au CRHA ou CRIA en tant qu’ami; parfois, il le consulte en tant que conseiller officiel de l’organisation… D’où l’importance de toujours informer l’employé sur l’étendue de vos obligations et sur les limites de vos conseils ou de votre intervention en tant que CRHA ou CRIA de l’entreprise.

Vous devez prendre conscience de ces questions, pour être en mesure de respecter vos obligations déontologiques et vos obligations générales envers votre employeur et vos clients. C’est pourquoi, la prochaine fois qu’un employé ou un représentant de votre employeur viendra vous consulter dans le cadre de l’exercice de votre profession, nous vous suggérons de considérer les points suivants :

  • identifiez votre client;
  • cernez les obligations déontologiques applicables;
  • revenez sur l’étendue de votre mandat (et au besoin, clarifiez-le auprès des parties);
  • déterminez s’il peut exister des intérêts opposés entre vos clients;
  • demeurez objectif sans privilégier vos intérêts personnels;
  • si nécessaire, cessez d’intervenir dans le dossier si la situation est inconciliable avec votre devoir d’indépendance professionnelle.

La rareté des décisions jurisprudentielles en la matière permet de croire qu’il y a eu peu d’applications de ces problématiques, probablement en raison du bon jugement de tous. En effet, en tant que professionnel, vous devez faire preuve de jugement, de réflexion et notamment clarifier, en premier lieu, avec vos clients, employeurs et collègues les situations exigeant une mise au point. Bref, ayez toujours à l’esprit le vieil adage : « mieux vaut prévenir que guérir ».

Reconnaître une situation de conflits d’intérêts ou de mise en péril de votre indépendance professionnelle est déjà un bon début et démontre que vous êtes conscient, en tant que professionnel, de vos obligations déontologiques.


Me Martine Gervais | Me Tina Hobday

Source : Source : De premier ordre, Mars 2005, Vol. 7 N°4