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Le secret professionnel : un droit parfois méconnu, mais bien réel

Souvent associé à l’avocat ou au médecin seulement, le secret professionnel est parfois méconnu. Pourtant, ce droit est reconnu à toutes les personnes faisant affaire avec un professionnel au Québec, puisque la Charte québécoise des droits et libertés de la personne l’énonce clairement à l’article 9. Ainsi, en tant que CRHA ou CRIA, vous êtes tenu au respect de cette obligation, au même titre que les membres des quarante-quatre autres ordres professionnels québécois. La principale raison d’être de ce droit est d’ailleurs de favoriser un climat de confiance entre le professionnel et la personne qui fait appel à ses services.
24 octobre 2012
Sarah Thibodeau

Un droit inscrit dans la Charte québécoise des droits et libertés

C’est la Charte des droits et libertés de la personne qui consacre le droit fondamental au respect du secret professionnel.

L’article 9 de la Charte prévoit en effet que :

« Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu’ils n’y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi. Le tribunal doit, d’office, assurer le respect du secret professionnel. »

Dans le même sens, le Code des professions du Québec, qui s’applique spécifiquement aux membres des ordres professionnels, contient une disposition sur la préservation du secret professionnel. Il s’agit de l’article 60.4 qui reprend, plus ou moins dans les mêmes termes, l’obligation de respecter le secret professionnel que l’on retrouve dans la Charte des droits et libertés :

« Le professionnel doit respecter le secret de tout renseignement de nature confidentielle qui vient à sa connaissance dans l’exercice de sa profession. Il ne peut être relevé du secret professionnel qu’avec l’autorisation de son client ou lorsque la loi l’ordonne. »

Si, devant le tribunal où vous êtes appelé à témoigner, on vous questionne sur un mandat que vous avez réalisé pour un client, sur les dossiers d’employés dont vous avez la responsabilité, sur des conseils que vous avez fournis dans le cadre de la négociation d’une convention collective ou sur tout autre dossier relatif à votre pratique professionnelle, sachez que la Charte des droits et libertés de la personne vous empêche de divulguer ces informations. Si cette situation se présente, vous ou la personne qui vous représente, le cas échéant, devez soulever cet empêchement. Le Tribunal pourra également, de son propre chef, interdire la communication de ces renseignements.

Le Code de déontologie des CRHA et des CRIA

Votre code de déontologie contient lui aussi des dispositions complémentaires visant à protéger le secret professionnel. Il s’agit de l’article 51 du Code qui précise les dispositions plus générales, qui sont d’ordre public, de la Charte des droits et libertés de la personne et du Code des professions.

L’article 51 prévoit qu’afin de préserver le secret des renseignements de nature confidentielle qui viennent à sa connaissance dans l’exercice de sa profession, le membre doit :

  • « s’abstenir de faire usage de tels renseignements au préjudice du client ou en vue d’obtenir, directement ou indirectement, un avantage pour lui-même ou pour autrui;
  • prendre les mesures nécessaires pour que ses collaborateurs et les personnes qu’il a sous son autorité ou sa supervision ne divulguent pas ou ne se servent pas de tels renseignements qui viennent à leur connaissance dans l’exercice de leurs fonctions;
  • éviter de tenir ou de participer à des conversations indiscrètes au sujet d’un client et des services qui lui sont rendus. »

Qui a le bénéfice du secret professionnel?

Le droit au respect du secret professionnel appartient à la personne qui fournit les renseignements confidentiels, c’est-à-dire le client. Contrairement à ce qu’une fausse perception pourrait porter à croire, il ne vise pas à protéger le professionnel, mais bien la personne à qui il dispense ses services professionnels.

Par ailleurs, pour déterminer qui bénéficie de la protection du secret professionnel, il faut éviter de se référer uniquement à la notion de « client ». En effet, de nos jours, la notion de client peut recouper différentes réalités. Bien souvent, la personne qui paye les services professionnels n’est pas la même que celle qui donne le mandat, celle qui reçoit le travail final ou celle qui fait l’objet des services professionnels.

Il faut donc se garder de ne retenir qu’un seul critère – par exemple celui de l’identité du payeur des services – et de négliger les autres, quand on cherche à déterminer qui bénéficie du secret professionnel. L’exemple suivant montre bien que les interactions entre le CRHA ou le CRIA et les personnes avec qui il est en relation dans le cadre de l’exercice de sa profession peuvent être parfois assez complexes.

Premier exemple

Marie, une employée de ABC inc., a récemment consulté Claude, CRIA et conseiller au service des ressources humaines de l’entreprise. C’est Stéphane, le superviseur de Marie, qui a demandé subtilement à Claude de rencontrer Marie, sentant qu’elle n’allait pas très bien. Marie a fait plusieurs confidences à Claude tant sur sa situation familiale difficile que sur le stress qu’elle éprouve. Claude l’invite alors à s’adresser au service d’aide aux employés dont il lui donne le numéro de téléphone. Ce service est dispensé par l’entreprise « Services XYZ » et est couvert par la compagnie d’assurances Assure-moi. Les primes d’assurance de la compagnie Assure-moi sont quant à elles défrayées complètement par ABC Inc., qui offre un généreux programme d’avantages sociaux à ses employés.

Dans un tel exemple, on constate que plusieurs personnes peuvent être impliquées dans une relation professionnelle au sein d’une entreprise. Toutefois, les confidences faites par Marie à Claude doivent bénéficier du secret professionnel. Celles que Marie fera au professionnel du service d’aide aux employés des Services XYZ seront également confidentielles. C’est Marie qui devra consentir à ce que les confidences qu’elle a faites à Claude, CRIA ou au professionnel des Services XYZ, soit révélées à une autre personne, puisque c’est elle qui est protégée par le secret professionnel. En résumé :

  • ce n’est pas parce que Stéphane a demandé à Claude, CRIA, de rencontrer Marie qu’il a le droit de connaître les confidences de Marie;
  • ce n’est pas parce que Claude a orienté Marie vers les Services XYZ qu’il a le droit de connaître le dossier de Marie établi par le professionnel de cette entreprise; • ce n’est pas parce que la compagnie d’assurances Assure-moi défraie les services professionnels rendus chez Services XYZ qu’elle a le droit de connaître le dossier de Marie;
  • ce n’est pas parce que l’employeur de Marie, ABC inc., acquitte les primes d’assurances de Assure-moi à titre d’avantage social pour ses employés qu’il a le droit de connaître le dossier de Marie.

Il faut retenir de cet exemple que c’est bel et bien la personne qui confie des informations qui a droit au secret professionnel, peu importe qu’elle paye elle-même le service professionnel ou non. En d’autres mots, il faut s’attarder à la source du renseignement (d’où provient-il?) afin de déterminer qui fait l’objet de la protection.

Deuxième exemple

Pierre, CRHA, exerce dans le domaine du recrutement. La compagnie BCD, qui désire pourvoir un poste important, lui demande de débusquer le bon candidat. Pierre tient à jour une imposante banque de candidats, car plusieurs professionnels le consultent pour qu’il les aide à dénicher le poste de leurs rêves. Pierre identifie des candidats potentiels et leur demande s’ils sont intéressés à postuler chez BCD; puis, il transmet leur dossier de candidature, avec leur accord. Toutefois, BCD n’est pas entièrement satisfaite de cette première sélection et demande à Pierre de fournir les dossiers de tous les candidats de sa banque. Ce dernier doit-il acquiescer à la demande de la compagnie BCD? Après tout, cette compagnie le paye pour réaliser ce mandat, contrairement aux candidats, qui ne sont donc pas des clients à proprement parler…

Prudence, une fois de plus! Ce n’est pas parce qu’un client rémunère vos services professionnels qu’il faut conclure que seul ce client a droit au respect du secret professionnel. La Charte des droits et libertés de la personne est claire à ce sujet : chacun a droit au respect du secret professionnel, et non seulement un client au sens classique du terme, qui paye des honoraires professionnels. Ainsi, les renseignements confidentiels qui vous ont été révélés parce que vous êtes CRHA ou CRIA ne peuvent être divulgués sans le consentement des personnes qui vous ont confié ces informations.

Quels sont les renseignements protégés?

Les informations protégées par le secret professionnel doivent avoir un caractère confidentiel, c’est-à-dire que la communication doit concerner un problème qui ne regarde que soi-même. Il peut s’agir d’information donnée ou reçue verbalement. Par ailleurs, tout ce qui relève d’une intervention professionnelle, individualisée, réalisée dans un contexte d’intimité est visé par le secret professionnel. Bien entendu, tout est affaire d’appréciation et de contexte et, parfois, la nuance est peut-être subtile entre ce qui est protégé et ce qui ne l’est pas… Ce qui nous fait dire qu’en cas de doute, mieux vaut obtenir l’autorisation explicite de la personne qui a fourni l’information avant de révéler ces renseignements à un tiers. Et en matière de consentement, il ne faut pas croire à l’existence d’un consentement implicite, allant de soi, déduit des circonstances… Comme le droit au respect du secret professionnel est un droit fondamental, il ne doit pas être pris à la légère!

Y a-t-il des exceptions?

Tout n’est toutefois pas protégé par le secret professionnel. Par exemple, les conseils visant à commettre un acte illégal ou criminel ne sont pas couverts par le secret professionnel. De même, si le professionnel fait l’objet d’une plainte au comité de discipline de l’Ordre, il devra répondre à toutes les questions posées, même si, de cette façon, des renseignements confidentiels peuvent être divulgués. Mais même en ce cas, le comité de discipline pourrait ordonner le huis clos lors de l’audience et préserver ainsi la confidentialité.

Levée du secret professionnel pour assurer la protection des personnes

En outre, depuis 2001, le Code des professions codifie une exception au secret professionnel, lorsqu’il s’agit de prévenir un acte de violence. L’article 60.4, alinéa 3 du Code prévoit en effet que :

« Le professionnel peut en outre communiquer un renseignement protégé par le secret professionnel, en vue de prévenir un acte de violence, dont un suicide, lorsqu’il a un motif raisonnable de croire qu’un danger imminent de mort ou de blessures graves menace une personne ou un groupe de personnes identifiable. Toutefois, le professionnel ne peut alors communiquer ce renseignement qu’à la ou aux personnes exposées à ce danger, à leur représentant ou aux personnes susceptibles de leur porter secours. Le professionnel ne peut communiquer que les renseignements nécessaires aux fins poursuivies par la communication. »

D’ailleurs, le Code de déontologie des CRHA et des CRIA a récemment été modifié en ce sens et on y retrouve maintenant un article 51.1, qui prévoit les modalités de cette communication en ces termes :

« 51.1 Le membre qui communique un renseignement protégé par le secret professionnel en vue d’assurer la protection des personnes, en application du troisième alinéa de l’article 60.4 du Code des professions doit :

  1. prévenir sans délai la ou les personnes exposées à un danger, leur représentant ou les personnes susceptibles de leur porter secours;
  2. consigner par écrit dans le dossier du client les renseignements suivants :
    1. les motifs au soutien de la décision de communiquer un renseignement, incluant l’identité et les coordonnées de la personne qui l’a incité à le communiquer;
    2. la nature du renseignement communiqué, incluant l’identité et les coordonnées de la personne ou des personnes à qui le renseignement a été communiqué en précisant, selon le cas, qu’il s’agit de la ou des personnes exposées au danger, de leur représentant ou des personnes susceptibles de leur porter secours. »

Troisième exemple

La situation de Marie va de mal en pis. Sa détresse s’aggrave et elle présente manifestement des signes d’une dépression. Elle a d’ailleurs rendez-vous avec son médecin dans quelques jours. Ce matin, elle a littéralement craqué dans le bureau de Claude, CRIA. Elle a des idées noires, évoque le suicide. Elle dit qu’elle n’en peut plus et voudrait quitter le travail après le dîner pour aller se reposer… Claude trouve les propos de Marie plus qu’inquiétants et se demande quoi faire, comment intervenir…

Dans un pareil cas, nous l’aurons compris, les articles du Code des professions et du Code de déontologie des CRHA et des CRIA cités plus haut et portant sur la sécurité des personnes trouvent application. Face à cette situation, où il existe des motifs raisonnables de croire qu’un suicide risque d’être commis, Claude n’est plus tenu de respecter son secret professionnel. Il peut alors prévenir sans délai une personne susceptible de porter secours à Marie. Il devra toutefois décrire dans son dossier ce qui l’a amené à prendre la décision de faire appel à un proche de Marie, il devra décrire la nature du renseignement communiqué et préciser le nom et les coordonnées de la personne qu’il aura prévenue.

Autres lois visant la protection des renseignements personnels

Il ne faut pas perdre de vue également que toute entreprise qui recueille des renseignements personnels — c’est-à-dire qui permettent d’identifier un individu — a l’obligation d’assurer le caractère confidentiel de ces renseignement et leur exactitude. La Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé prévoit qu’un consentement est requis pour pouvoir transmettre ces renseignements à des tiers. De même, lorsque l’objet du dossier est atteint, l’utilisation des renseignements contenus dans un dossier n’est permise qu’avec le consentement de la personne concernée. Enfin, la loi comporte également des règles concernant l’accès aux renseignements par la personne visée et son droit de faire rectifier une information inexacte.

En ce qui a trait aux organismes publics, la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels régit également cette question. L’objet premier de cette loi est de donner aux citoyens accès aux documents des organismes publics. Ce faisant, la loi prévoit toutefois la protection des renseignements nominatifs qui pourraient s’y trouver.


Sarah Thibodeau
Membre du Barreau, Sarah Thibodeau occupe le poste de directrice, qualité de la pratique à l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. À ce titre, elle est fréquemment appelée à donner des conférences ou à rédiger des articles sur les diverses facettes de l'exercice d'une profession. Me Thibodeau est titulaire d'une maîtrise en droit du travail de l'Université du Québec à Montréal.

Source : Source : De premier ordre – Décembre 2003, Vol. 6 N°7