Vous lisez : Pour les milléniaux : sens, valeurs et culture

Chaque génération apporte son lot de défis aux entreprises, aux équipes de travail et aux syndicats. C’est en tentant d’y répondre que les milieux de travail évoluent, presque toujours pour le mieux. La génération qui fait son entrée sur le marché du travail, comme celle qui la suivra, suscite bien des discussions et fait déjà l’objet de plusieurs qualificatifs, tantôt douteux, tantôt élogieux. Plus ça change, plus c’est pareil, diront ceux qui ont déjà vécu un choc intergénérationnel sur le marché du travail.

Si, comme hypothèse de départ, nous pensions qu’à l’instar de leurs prédécesseurs, les jeunes d’aujourd’hui sont en quête d’idéal, mobilisés par la possibilité de changer le monde et dynamisés par leur soif d’agir, force est de constater que leur vision du monde semble différer à plusieurs égards.

En complément à notre hypothèse, ajoutons que les jeunes seraient plus attirés par des milieux de travail qui correspondront à leurs valeurs et à leurs croyances, des milieux dont ils seront fiers, qui leur procureront des défis à la hauteur de leurs talents et qui seront porteurs d’une culture d’ouverture, de tolérance et de collaboration.

Le quasi-plein emploi ainsi que l’émergence des nouvelles économies et des nouvelles formes de travail leur donnent-ils plus de liberté à ces jeunes qui intègrent le marché du travail ? Ou est-ce une des caractéristiques de cette génération conditionnée à l’instantanéité, au multitâche, au tout à l’équipe et à la diversité? L’avenir nous le dira. Chose certaine, à leur façon, ils vont changer le monde du travail.

Afin de valider ces croyances, nous avons choisi de nous entretenir avec une quinzaine de femmes et d’hommes de 20 à 30 ans, diplômés, étudiants ou travailleurs. Sachant que ces générations émergentes ne seront pas monolithiques, qu’elles auront leurs contradictions, leurs oppositions et leurs divergences, notre intention était de vérifier certaines idées qui sont réputées représenter ces futurs collègues, gestionnaires ou entrepreneurs. C’est donc sans aucune prétention scientifique, mais avec enthousiasme que nous partageons les constats de nos échanges.

La mobilité

Les jeunes avec qui nous avons discuté nous rapportent qu’ils prioriseront, dans leurs choix de carrière, la qualité de vie et la corrélation entre leurs valeurs et celles de l’entreprise. Ils recherchent de la diversité, des défis stimulants et des possibilités d’avancement et de réalisation personnelle et professionnelle. S’ils ne vibrent pas à l’appartenance et à la durée en emploi, ils n’y sont pas opposés. En quête d’idéal, ils croient qu’il est difficile de trouver sous un même toit tout ce qu’ils recherchent. C’est pourquoi ils n’hésiteront pas à aller voir ailleurs. Finalement, le choix demeure simple : ils doivent croire en ce que l’entreprise propose et partager ses valeurs, sans compromis sur leur qualité de vie.

En majorité, les jeunes de notre groupe témoin envisagent de changer d’emplois plusieurs fois au cours de leur carrière. Plusieurs facteurs contribuent à cette idée d’aller voir ailleurs. Notons ces trois motivations principales : le développement professionnel, le besoin de progression personnelle et professionnelle et l’intérêt dans la nouveauté et la variété. Cependant, si ces possibilités se retrouvent chez un même employeur, la majorité de nos jeunes disent ne plus voir l’intérêt de partir. Que cet emploi soit dans leur champ d’études ou non, il ressort de nos échanges avec ces quelques jeunes qu’ils pourraient conserver cet emploi s’ils l’aiment, s’ils peuvent s’y développer et utiliser leurs compétences et leurs talents.

Les conditions de travail seront toujours un facteur important dans le choix que les jeunes feront au cours de leur carrière. Si à l’aube de leur vie professionnelle, ils disent ne pas tenir mordicus à ces conditions, qu’en sera-t-il dans quelques années, alors que les contraintes de la vie quotidienne auront agi sur eux ? Impossible à prévoir, mais ils ont l’habitude du changement. Le fait de ne pas avoir connu de conditions stables ou d’avoir accumulé plusieurs semaines de vacances peut changer les comportements relatifs à la sécurité et à la sédentarisation constatés par le passé.

Dans un autre ordre d’idée, au fil de nos discussions avec ces quelques jeunes femmes et hommes, nous constatons qu’ils ont peu ou qu’ils n’ont pas d’ambitions entrepreneuriales. Si certains œuvrant dans les nouvelles technologies se voient comme de futurs entrepreneurs, beaucoup nous ont dit avoir des réserves à l’idée de se lancer en affaires. Aux premiers rangs de leurs préoccupations : l’incertitude, l’instabilité et la qualité de vie. S’ils sont prêts à prendre des risques professionnels, il semble qu’ils soient mesurés et limités à certains choix : tel ou tel emploi, telle ou telle entreprise.

La constante : la majorité des participants souhaitent travailler dans une entreprise qui correspond à leurs valeurs. Ils doivent pouvoir se reconnaître, tant dans ce que l’entreprise produit que comment elle le produit. Certaines valeurs actuelles, relatives à la diversité et à l’environnement par exemple, ne peuvent plus être mises en doute. Elles vont guider nos jeunes dans leurs choix futurs; ils en sont convaincus.

Les conditions de travail

Sommes-nous en train d’assister à la fin du travail vu comme une finalité, comme la « seule vraie » manière de se définir, de s’affirmer, de se réaliser ? Selon notre groupe témoin, pour qui le travail relève plutôt d’un moyen que d’une fin, nous sommes enclins à penser que oui.

Si les conditions de travail demeurent un facteur prédominant dans le choix professionnel des jeunes qui entrent sur le marché du travail, elles ne sont pas absolues. En effet, peu importe les conditions de travail qui y sont rattachées, tous nos répondants affirment être prêts à changer d’emploi si le milieu de travail n’est pas stimulant, si le climat n’est pas harmonieux et si les projets confiés ne sont pas intéressants. Ils quitteront sans hésiter un emploi où ils ne sont pas heureux ni respectés, où leur talent n’est pas reconnu, et ce, malgré tous les avantages qu’une entreprise peut offrir. Une culture d’ouverture, un sens à ce qu’ils font, un sentiment d’utilité et de reconnaissance, voilà ce qu’ils recherchent.

Soyons clairs : les jeunes d’aujourd’hui apprécient véritablement les acquis gagnés de haute lutte par leurs prédécesseurs. Ils ne voient pas comment on pourrait revenir en arrière. À leur tour de laisser leur marque sur la vie au travail, à commencer par la flexibilité, la variété et l’autonomie.

 

En effet, nous ne pouvons ignorer cette tendance déjà connue des entreprises et attestée à l’unanimité par nos répondants : les jeunes travailleurs veulent des horaires flexibles, qui leur permettent d’avoir un réel équilibre personnel et professionnel. La possibilité d’une réelle conciliation travail-vie personnelle est primordiale pour eux; pas question de faire de concessions.

 

Ils parlent donc d’horaires variables, flexibles, de travail mobile et d’autonomie dans la gestion de leurs heures de travail. Ils parlent également de mandats et de projets stimulants, d’équipes multidisciplinaires dynamiques et aussi de cours de yoga, de gym, de cafés et d’autres avantages similaires. La vie sociale, au travail comme dans la vie personnelle, est un facteur déterminant pour ces jeunes. À leurs yeux, c’est à l’entreprise de s’adapter et d’offrir des conditions qui leur permettront de concilier la variété de leurs intérêts et de leurs ambitions.

De plus, le climat de travail doit être stimulant, positif et exempt de conflits. Toute une commande pour les gestionnaires qui devront faire vivre ces microsociétés, au bureau ou à distance! La gestion des conflits étant un des enjeux pour plusieurs gestionnaires, il faudra y accorder plus d’attention. Ces jeunes ont été entraînés, dès leur enfance, à dire ce qui convient, ce qui dérange. Pourquoi changeraient-ils en arrivant sur le marché du travail? Ce n’est pas de l’égocentrisme, au contraire. Pour eux, il s’agit du respect de soi, de leur valeur et de leur estime personnelle. Quoi qu’on en pense, ces besoins ne sont pas éloignés des fondements qui sous-tendent le concept de civilité au travail.

L’encadrement et la direction des organisations

Travailler pour un patron qui n’est ni mobilisant ni inspirant? Très peu pour notre groupe témoin! Ils cherchent un leader qui sait écouter, stimuler, qui partage ses connaissances, qui donne de la rétroaction, mais qui donne de l’air aussi. Paradoxe ? Peut-être pas… Génération de personnes autonomes, qui savent chercher, débrouillardes et curieuses, ces jeunes sont capables de partager leur attention entre plusieurs sujets, sans en échapper. Du moins quand ces sujets sont dignes d’intérêt !

Culture d’ouverture, de collaboration, de communication et de développement : voici ce que nos jeunes cherchent en priorité chez les employeurs.

Plusieurs entreprises ont déjà réalisé un certain virage concernant leur modèle de supervision. La relation de proximité et d’encadrement a évolué. On voit de plus en plus de gestionnaires développer leur leadership et leurs capacités de coaching. C’est un pas dans la bonne direction pour ces jeunes qui recherchent plus un mentor qu’un patron, mais il faut aller plus loin. En effet, nos répondants ajoutent l’autonomie, la marge de manœuvre et la capacité à gérer son temps et ses mandats comme vecteurs de réalisation personnelle et professionnelle.

Ils veulent de la formation continue, idéalement transférable d’un emploi à un autre. Ils veulent être consultés, particulièrement sur les sujets qui les touchent directement. Ils veulent être entendus, reconnus et sollicités. Ils insistent sur leurs besoins en matière de défis.

Finalement, qu’en est-il de la vision qu’entretiennent les jeunes travailleurs des syndicats ? Ils sont souvent décrits comme des machines poussiéreuses qui refusent les réalités des marchés ou ignorent comment s’y adapter. Nos répondants affirment, au contraire, reconnaître leur travail. Ils reconnaissent que l’action syndicale, utile dans le passé, a certainement contribué à faire évoluer les conditions de travail. Ce qu’ils questionnent, c’est le climat de confrontation associé aux syndicats. La quasi-majorité des jeunes questionnés ont affirmé que s’ils étaient membres d’un syndicat, ils ne s’impliqueraient pas.

Conclusion

Pour devenir attractives et retenir ces jeunes, les organisations devront prendre le temps de se rénover, et de s’adapter. Voici quelques pistes :

  • Une culture d’entreprise ouverte, intègre, inclusive et réellement vécue par les dirigeants et les gestionnaires ;
  • Des conditions de travail modernes, de la flexibilité, de l’autonomie et de la formation continue ;
  • Des climats sains, sans conflits, où la collaboration et le travail d’équipe sont privilégiés, notamment par des espaces de travail collaboratifs;
  • Des leaders inspirants, des mentors, qui savent mobiliser et diriger sans tout imposer.

L’énergie de ces entretiens nous a paru très stimulante. Ces jeunes, qui ont participé à l’exercice avec générosité, nous font entrevoir une évolution du marché du travail, ni irréaliste ni irréalisable. Ils demandent à prendre leur place, à jouer un rôle plein et entier. Ils souhaitent des entreprises intègres, engagées et respectueuses des environnements, internes et externes. Ils cherchent l’équité, la justice et le développement de leurs connaissances et de leurs expertises, sans compromis sur leur qualité de vie personnelle. Sens, valeurs et culture… Voilà donc ce qu’ils cherchent. Pour eux, ce n’est pas trop demander. Saurons-nous y répondre ?

Source : VigieRT, septembre 2018.

Auteur :

Alain Dufault, CRIA, Président fondateur de CRT Conseils Inc. : exerce la consultation depuis plus de 25 ans, spécialisé dans le développement et la transformation des organisations, les relations organisationnelles et l’accompagnement des gestionnaires et décideurs.

Co-auteurs :

Simon-Alexandre Barabé, conseiller syndical, APTS : détenteur d'un baccalauréat en relations industrielles de l'Université de Montréal, conseiller syndical dans le réseau de la santé et des services sociaux.

Laurence Dufault-Arsenault : diplômée de l’école de relations industrielles (UdeM) et étudiante au baccalauréat en droit, (UdeM) Bachelière en relations industrielles (UdeM), étudiante au baccalauréat en droit (UdeM) et employée étudiante à la FPPC-CSQ

Références :

Libana Kassab, Le Droit : Qui sont les milléniaux?

Olivier Schmouker, Les Affaires : Oui, les milléniaux vont révolutionner le travail!

Comité sectoriel de main-d’œuvre du commerce de détail : Tout savoir sur les milléniaux au travail

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