Vous lisez : Harcèlement sexuel au travail

L’auteure nous propose un article faisant le tour des obligations des employeurs dans les dossiers de harcèlement sexuel à la lumière des événements des deux dernières années.

En juin 2018, alors que le mouvement #MoiAussi bat son plein, la Loi sur les normes du travail (ci-après « L.n.t ») est amendée afin d’indiquer explicitement, à son article 81.18, qu’une conduite constituant du harcèlement sexuel, qu’elle soit manifestée de manière physique ou verbale, est considérée comme étant du harcèlement psychologique. Cet amendement démontre une préoccupation importante du législateur concernant cette problématique alors au cœur de l’actualité.

Or, à peine deux années plus tard, en 2020, une nouvelle vague de dénonciations d’inconduites sexuelles déferle sur divers réseaux sociaux. Avec ce mouvement, de nombreuses questions émergent aujourd’hui dans les milieux de travail.

En effet, quelle attitude doit adopter un employeur lorsque le présumé harceleur et sa victime alléguée sont en fait des collègues de travail? Plus particulièrement, quelles sont ses obligations si la victime dénonce le harcèlement sexuel subi au travail sur une plateforme, telles que Facebook ou Instagram, plutôt que directement à l’un des représentants de l’entreprise où elle travaille? Aussi, que doit faire un employeur dont un groupe d’employés, dans le contexte de cette vague de dénonciation, rapportent collectivement des comportements inappropriés de nature sexuelle d’un même collègue, mais que ces dénonciations, prises individuellement, semblent insuffisantes pour répondre aux critères de harcèlement psychologique requis par l’article 81.18 L.n.t.?

D’entrée de jeu, quant à la question de savoir quelles sont les obligations d’un employeur si un salarié de son entreprise dénonce les inconduites sexuelles survenues au travail sur un média social plutôt que directement à l’un de ses supérieurs, rappelons que l’article 81.19 L.n.t. impose à l’employeur l’obligation de « prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser ».

Or, rien dans cet article n’indique de quelle façon ni par qui les conduites vexatoires alléguées doivent être portées à la connaissance de l’employeur. Au surplus, cet article s’inscrit dans le cadre global de la L.n.t., laquelle constitue une loi d’ordre public visant la protection des salariés et devant, en ce sens, recevoir une interprétation large et libérale.

Conséquemment, force est de conclure qu’un employeur informé d’une situation potentielle de harcèlement sexuel au sein de son entreprise par le biais d’une déclaration d’un salarié, par exemple sur Facebook ou Instagram, doit prendre sans délai les mesures afin de le faire cesser, et ce, même en l’absence d’une plainte formelle à son entreprise par la présumée victime.

Cette obligation pourra notamment prendre la forme d’une enquête objective et confidentielle. Lors de cette enquête, l’employeur, par lui-même ou par l’entremise d’une firme externe, recueillera les versions des parties impliquées et des personnes ayant pu être témoins de situations de harcèlement. Suivant les conclusions de cette enquête, si les allégations de harcèlement sexuel s’avèrent fondées, l’employeur devra faire cesser ce harcèlement, que ce soit en imposant une mesure disciplinaire appropriée au harceleur ou encore en procédant à son déplacement dans un autre département.

Par ailleurs, se pose également la question suivante : que faire si les dénonciations proviennent d’un groupe d’employés, par exemple un groupe de femmes, et que, bien que les déclarations soient sérieuses, lorsque prises individuellement, elles semblent insuffisantes pour répondre aux critères de harcèlement psychologique prévus à l’article 81.18 L.n.t.?

En 2014, la Cour d’appel a été appelée à se prononcer sur cette question dans l’arrêt Centre de réadaptation en déficience intellectuelle du Saguenay-Lac-St-Jean (CRDI) c. Fortier[1]. Elle devait y statuer sur un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une demande en révision judiciaire d’une sentence arbitrale annulant une mesure disciplinaire et un congédiement imposé à un salarié, notamment en raison du harcèlement psychologique qu’il avait fait subir à certains de ses collègues de travail.

La Cour d’appel, renversant la décision de la Cour supérieure, a conclu que l’omission d’avoir considéré l’ensemble des gestes posés par le présumé harceleur sur chacune des victimes a dénaturé la notion de harcèlement psychologique telle que définie dans la L.n.t. et a ainsi mené à une décision déraisonnable. À cet égard, la Cour d’appel a, plus particulièrement, conclu que :

« [71] L’appelante a raison de dire que l’arbitre n’a pas donné toute son importance au comportement répétitif de l’intimé, comportement qui, dans son ensemble, a entraîné un milieu de travail néfaste autour de lui. La démarche analytique de l’arbitre est erronément axée sur chacune des présumées victimes, considérée séparément et en vase clos. Elle a pour effet de neutraliser la notion même de harcèlement psychologique définie par le législateur au premier alinéa de l’article 81.18 L.N.T.

[72] Cette méthode d’analyse a mené à une décision déraisonnable en l’espèce dans la mesure où l’arbitre fait abstraction du comportement de l’intimé à l’égard de plusieurs victimes différentes qui, globalement, crée un milieu de travail néfaste pour toutes. Le harcèlement dont parle l’article 81.18 ne se limite pas à la situation où une ou plusieurs victimes, considérées individuellement, ont subi des gestes vexatoires répétitifs. En effet, le harcèlement au sens de la Loi comprend aussi la conduite d’un salarié qui, successivement, porte atteinte à plusieurs victimes, même si chacune d’entre elles n’a pas nécessairement fait l’objet, individuellement, de gestes vexatoires répétés.


[...]


[77]  En définitive, je partage l’avis de l’appelante selon lequel l’arbitre a mal appliqué le premier alinéa de l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail pour déterminer s’il y avait ou non-harcèlement psychologique causé par l’intimé. C’est ainsi que même s’il a cru le témoignage des présumées victimes, l’arbitre a conclu dans plusieurs cas qu’il n’y avait pas eu atteinte à leur dignité, en faisant une évaluation de chaque geste posé en vase clos et en requérant de plus une gravité du geste plus élevée que celle requise par le premier alinéa de l’article 81.18. »[2] [Nos soulignements]

Conséquemment, dès qu’un employeur, au terme de son enquête, conclut à la présence de harcèlement sexuel dans le contexte global de la dénonciation faite par le groupe d’employés, il doit agir sans délai pour le faire cesser, et ce, même si les conduites du harceleur, prises individuellement face à chacune des victimes, semblent insuffisantes pour constituer du harcèlement psychologique au sens de la L.n.t.

En matière de relations individuelles du travail, nous constatons qu’au cours des dernières années, le Tribunal administratif du travail[3] (ci-après « Tribunal ») tend également de plus en plus à interpréter de manière large et libérale le concept de harcèlement sexuel, allant même jusqu’à prendre en considération dans son analyse de la preuve les conduites sexuelles subies par d’autres salariés que celui ayant déposé la plainte.

Cette considération a d’abord reposé sur la prémisse qu’en matière de harcèlement sexuel, les incidents surviennent souvent sans témoins. Conséquemment, la preuve d’actes sur d’autres présumées victimes, plus communément appelée « preuve d’actes similaires », est essentielle afin d’évaluer la crédibilité respective du présumé harceleur et de sa victime[4].

Cependant, au cours de la dernière année, le Tribunal a aussi explicitement considéré certaines inconduites vécues par d’autres salariés. Cette preuve est alors devenue partie prenante du harcèlement sexuel pour le salarié ayant déposé une plainte, notamment en raison du milieu de travail néfaste qu’il créait pour ce dernier, critère prévu à l’article 81.18 L.n.t.[5]

À cet effet, dans la décision Couture c. Ordre des évaluateurs agréés du Québec[6], rendue en 2020, le Tribunal était saisi notamment d’une plainte pour harcèlement sexuel en vertu de l’article 123.6 L.n.t. Parmi les propos sexistes et sexuels qui auraient été tenus par un salarié de l’entreprise, certains ne visaient pas directement la plaignante. Néanmoins, le Tribunal a pris en considération ces propos, bien qu’ils ne visaient pas directement la salariée, au motif qu’ils étaient « inappropriés et contribu[aient] à une ambiance néfaste »[7] sur les lieux du travail.

En somme, en matière de harcèlement sexuel, l’employeur se doit d’être proactif tant dans la prévention que dans ses actions. Il doit faire cesser le harcèlement, sans délai, dès qu’il est porté à sa connaissance, et ce, indépendamment de la forme que prend la dénonciation.

Pour plus d’information, nous vous invitons à consulter le site Web de la CNESST, lequel vous offre une panoplie de renseignements, notamment en matière de harcèlement sexuel : www.cnesst.gouv.qc.ca.

Source : VigieRT, décembre 2020.

1 2014 QCCA 1581.
2 Ibid.
3 Avant le 1er janvier 2016, il s’agissait de la Commission des relations du travail.
4 2012 QCCRT 0150, par. 169.
5 Voir notamment : I.M. c. Bar A, 2020 QCTAT 2343.
6 2020 QCTAT 130.
7 Ibid., par. 102.
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