Vous lisez : La neurodiversité : un aspect négligé de la diversité en ressources humaines

Le trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H), les troubles du spectre de l’autisme (TSA) ou encore la douance, vous connaissez? Il y a le portrait médiatique, discutant souvent de l’abus de consommation de médicaments pour traiter le TDA/H, ou la série télévisuelle Le bon docteur. Mais il y a aussi des gens, des employés.

Il existe une grande diversité de fonctionnements cognitifs et neurologiques qui définissent, dès la naissance, certaines caractéristiques d’un individu. Elles entraînent une grande variété de façons de penser, plusieurs nuances de créativité et l’exploration de nouvelles façons de faire. Tout cela tend à converger vers l’innovation tant recherchée dans les milieux de travail d’aujourd’hui.

Le nombre d’adultes avec un diagnostic de TDA/H, de TSA ou autre augmente. Parce que les enfants qui ont été diagnostiqués deviennent adultes, mais aussi, parce que plusieurs parents choisissent de se faire tester après avoir appris que leurs enfants étaient porteurs d’un de ces troubles.

Cette neurodiversité a des impacts concrets dans le monde du travail. À titre d’illustration, voici trois situations typiques :

  1. Un adulte ayant eu des troubles d’apprentissage dans sa jeunesse réussit difficilement à suivre le rythme de formation sur un nouveau système de production. Son superviseur le questionne sur sa capacité à se mettre à jour. Que devrait-il faire?

    Peu importe l’employé et ses caractéristiques, le supérieur immédiat devrait en tout premier lieu chercher la cause de cette difficulté à suivre le rythme de la formation continue.

    Plusieurs enjeux peuvent se présenter dans ce cas. Est-ce un problème de conception du programme de formation continue? Est-ce une difficulté de rendement au travail? Est-ce une question d’accommodement, dans la mesure où le salarié déclare la nature de ses troubles d’apprentissage à son employeur? Peut-être est-ce un mélange de plusieurs de ces éléments?

    S’il s’agit de la conception du programme de formation continue, plusieurs employés seront probablement affectés. L’appréciation devrait être faite sur la base d’éléments neutres, impartiaux et concrets.

    S’il s’agit de rendement, l’évaluation devrait être faite sur des critères objectifs directement reliés aux exigences du poste de travail.

    Attardons-nous à l’accommodement du salarié présentant des difficultés dans le cadre d’une activité de formation continue.

    Advenant que le salarié démontre qu’il souffre de dyslexie, par exemple, la Cour suprême du Canada a reconnu, en 2012, que ce diagnostic peut constituer une déficience, un handicap (Moore c. Colombie-Britannique, 2012 CSC 61). Le même raisonnement s’applique aux autres troubles de l’apprentissage.

    Il est clairement établi que l’employeur ne peut exercer de discrimination dans l’apprentissage et la formation p rofessionnelle (art. 16 de la Charte des droits et libertés de la personne).

    L’employeur doit donc réfléchir aux façons d’accommoder cette personne. Est-ce que l’ensemble de la formation ou des parties substantielles de celles-ci consistent en de la lecture? Y a-t-il moyen de procéder autrement et d’adapter le programme de formation aux besoins de l’employé? Connaissant cette information, toute évaluation de la compétence au sens strict devrait prendre en considération le handicap. On devrait alors se poser la question : quels sont les impacts des caractéristiques du salarié sur l’évaluation de son rendement?

    L’employeur doit accommoder le salarié jusqu’à la contrainte excessive. L’accommodement implique nécessairement certaines difficultés ou certains désagréments pour l’employeur. Ce n’est que lorsque ceux-ci atteignent le niveau de la contrainte excessive, du « fardeau excessif ou déraisonnable » (Conseil des Canadiens avec déficiences c. Via Rail Canada inc., [2007] 1 R.C.S. 650) que l’obligation d’accommodement cesse. Le fardeau de le démontrer appartient à l’employeur.

    Dans de telles circonstances, il devrait faire de réels efforts pour adapter son programme de formation continue et son évaluation du rendement pour prendre en considération le handicap de l’employé.

  2. Un jeune adulte avec un diagnostic de TDA/H a des difficultés à se concentrer en réunion, ce qui dérange certains collègues. Son supérieur immédiat remarque également des difficultés d’organisation et des retards constants dans la livraison de ses projets.

    Si le salarié a déclaré sa condition ou s’il décide de la déclarer à son supérieur immédiat lors du suivi qui devrait s’enclencher avec lui, la question de l’accommodement se pose.

    La notion de handicap, définie par la jurisprudence, est suffisamment large pour inclure le TDA/H. Par ailleurs, l’article 16 de la Charte protège notamment les conditions de travail du salarié tout en le protégeant contre la suspension et le congédiement.

    L’employeur devrait alors analyser comment il pourrait l’aider à s’organiser et l’encadrer. Quelles sont les formations disponibles (gestion du temps ou des priorités, coaching, etc.)? Quels sont les outils disponibles (agenda électronique, rappels préprogrammés, etc.)? Comment bien les utiliser et les intégrer à son quotidien?

    L’employeur pourrait également renforcer les comportements positifs dans le cadre d’un suivi serré des échéances afin de s’assurer que les retards ne s’accumulent pas. Connaissant la nature du handicap, il aurait sans doute avantage à subdiviser un projet avec une échéance globale en plusieurs sous-sections, avec leurs propres échéances.

    En réunion, cette personne pourrait avoir une place désignée, par exemple, s’installer directement en face du présentateur. Il conviendrait probablement d’éviter qu’elle soit orientée vers la fenêtre donnant sur l’extérieur ou la porte vitrée donnant sur le corridor, sources de distractions. Il y aurait peut-être lieu de se poser la question : y a-t-il moyen de tenir la réunion dans un autre lieu, à un moment moins achalandé?

    Certains aspects de l’organisation et du mieux-être au travail pourraient également être en cause.

    Lors des réunions, par exemple, l’hypersensibilité et la grande réactivité de la personne souffrant de TDA/H peuvent agir comme un signal d’alarme. L’employeur à l’écoute peut ainsi être informé que l’ensemble des employés vit probablement aussi un certain malaise sans oser en parler.

    Le moment de la réunion, sa durée, la nécessité d’une pause ou certains aspects de l’organisation pourraient être en cause. Des adaptations pourraient donc profiter à tous les employés concernés.

  3. Une surdouée éprouve des difficultés relationnelles avec des collègues effectuant le même travail. Elle termine son travail beaucoup plus vite et perd son temps sur son ordinateur alors que les autres travaillent pour accomplir la même charge de travail. Que doit faire leur supérieur immédiat?

    Il a tout avantage à être attentif à son équipe et à percevoir la tension qui s’y installe. Il devrait alors chercher à en comprendre la cause afin de pouvoir agir avec célérité sur celle-ci.

    La question du partage des tâches appartient au supérieur immédiat. Voici quelques unes des questions que devrait se poser le gestionnaire : dois-je demander à tous les employés d’effectuer la même quantité de travail, quitte à ce qu’une employée perde son temps pendant une partie de son quart de travail? Dois-je demander à tout le monde d’effectuer le même temps de travail, quitte à ce qu’une personne abatte beaucoup plus de travail que les autres pendant la même période? Dois-je demander la même quantité de travail complétée, en donnant d’autres types de tâches de travail?

    Il n’y a pas une seule et unique réponse à ces questions. L’important est de considérer tous les aspects de la situation et de la charge de travail des employés afin de prendre une décision responsable, objective et éclairée.

    Soulignons que l’absence de décision du supérieur immédiat pourrait envenimer la situation et créer un climat de travail néfaste. En effet, cette situation d’incompréhension et d’iniquité perçue entre les différents salariés, sans décision claire de leur gestionnaire, pourrait détériorer le climat de travail et devenir rapidement source de conflits. Les différences entre les neurotypiques et les neuroatypiques causant déjà une certaine incompréhension, celle-ci ne pourrait que s’accentuer dans un tel contexte. De plus, comme dans tout environnement de travail malsain, le risque d’absentéisme de toute nature pourrait s’accroître.

En conclusion, la neurodiversité des employés peut avoir des impacts dans toutes les sphères des relations de travail d’une organisation. Il s’agit de questions complexes auxquelles il faudra tôt ou tard s’intéresser. Par ailleurs, les découvertes en neurosciences se multiplient, et une plus grande proportion de la population a accès à un diagnostic dans cette sphère.

Même si elle peut soulever de nombreux défis, la neurodiversité s’accompagne peut être d’une importante source de créativité et de façons de penser novatrices dont un employeur ne devrait pas se passer. Il s’agit d’employés novateurs qui peuvent se révéler fort intéressants, à plus forte raison dans le contexte de la pénurie de main d’œuvre que nous connaissons actuellement.

Source : VigieRT, mars 2019.

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