Vous lisez : Quand l’employeur intervient à l’égard d’un membre du personnel

Le travail, c’est la santé! Ah oui? Mais que faire si le nombre d’heures de travail effectuées est excessif?

La législation québécoise prévoit certains droits en faveur de la salariée ou du salarié :

  • Droit de refuser de travailler un nombre d’heures allant au-delà d’un certain seuil (art. 59.0.1 de la Loi sur les normes du travail [L.N.T.]);
  • Droit à une période de repos minimale obligatoire de 32 heures par cycle de travail (art. 78 L.N.T.);
  • Droit de refus d’exécuter un travail si le travailleur a des motifs raisonnables de croire qu’il serait exposé à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique (art. 12 et 13 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail [LSST]).

Les salariés ont des droits, mais l’employeur, peut-il limiter le nombre d’heures de travail?

Concrètement, pourrait-il refuser d’attribuer des heures de travail supplémentaires à un membre du personnel qui en réclamerait, ou même le sanctionner pour lui avoir caché qu’il travaillait dans un état de fatigue compromettant les objectifs reliés à la protection de la santé et de la sécurité du travail?

Voici deux décisions québécoises récentes provenant de milieux syndiqués, l’une issue du secteur du transport, régi par le Code de la sécurité routière, et l’autre provenant du secteur municipal. Elles confirment que l’employeur lui-même peut imposer une limite au nombre d’heures de travail que peut accomplir son personnel dans une même semaine.

Secteur du transport routier québécois

Les employeurs qui exploitent des entreprises de transport ont particulièrement intérêt à tenir compte de la fatigue causée par un nombre excessif d’heures de conduite.

Dans l’affaire Transport Hervé Lemieux (1975) inc., le congédiement imposé par l’employeur à l’un de ses chauffeurs de véhicules lourds a été confirmé. Il a en effet conduit plus de 70 heures par semaine pendant environ 2 ans, en violation de la législation, de la réglementation et de la convention collective applicables, et lui a camouflé ce fait. La fatigue au volant créée par le manque de sommeil met en péril la sécurité des usagers de la route et des piétons.

L’arbitre de griefs a pris en compte le Règlement sur les heures de conduite et de repos des conducteurs de véhicules lourds (art. 6, 8 et 9 al. 2). Celui-ci crée des interdictions pour les conducteurs visés de travailler au-delà de 70 heures par semaine et d’un certain nombre d’heures par jour. De plus, le Code de la sécurité routière (art. 519.10 al. 1 à 4) prévoit notamment une obligation pour le conducteur de véhicules lourds de remplir une fiche journalière de ses heures de repos et de travail.

Conduire un véhicule lourd au-delà de 70 heures par semaine constitue une conduite dangereuse

L’expert de l’employeur a livré un témoignage éloquent sur les effets de la fatigue au volant. L’employeur a également déposé le Guide de la gestion de la fatigue à l’usage de l’industrie du transport routier, publié par la Société de l’assurance automobile du Québec.

Une preuve retenue et irréfutable des effets réels, importants et dévastateurs de la fatigue au volant!

Pour plus de détails concernant les faits et les motifs de cette décision, voici le lien vers le billet La fatigue au volant : imperceptible, pernicieuse, inévitable et tueuse… que j’ai rédigé.

Secteur municipal : les cols bleus

Dans l’affaire Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP — local 301), le syndicat a prétendu que la Ville de Montréal (arrondissement de Ville-Marie) avait contrevenu à la procédure de répartition des heures supplémentaires entre salariés prévue à la convention collective en refusant d’attribuer à une préposée aux travaux généraux certaines heures supplémentaires.

L’employeur a invoqué la directive qu’il avait adoptée imposant aux employés une période de repos de 8 heures consécutives par période de 24 heures et une période de repos de 32 heures après avoir travaillé 6 jours consécutifs.

L’arbitre de griefs a donné raison à l’employeur.

La politique de l’employeur imposant une période minimale de repos de 32 heures après avoir travaillé 6 jours consécutifs, limitant ainsi la possibilité de faire des heures supplémentaires selon la procédure de distribution de ces dernières, est valide et raisonnable.

  • L’employeur a le droit d’imposer une limite d’heures de travail au cours d’une semaine et une période de repos plus strictes que celles imposées par le Règlement sur les heures de conduite et de repos des conducteurs de véhicules lourds;
  • La politique de l’employeur s’inscrit dans l’esprit de la convention collective. Elle vise à réduire l’absentéisme des salariés et à protéger la santé et la sécurité du travail;
  • La politique respecte l’article 78 L.N.T., relatif à la période de repos hebdomadaire obligatoire minimale de 32 heures, ainsi que les obligations légales de l’employeur de protéger la santé et la sécurité du travail des salariés prévues à l’article 51 LSST et 2087 du Code civil du Québec;
  • À cet égard, l’employeur a l’obligation de fournir les outils et les équipements sécuritaires. Il doit également exiger que le travail soit accompli de façon sécuritaire (art. 51, paragr. 3 et 5 LSST);
  • La responsabilité criminelle de l’employeur pourrait éventuellement être retenue (art. 22.1 et 217.1 du Code criminel);
  • Le travailleur a également une obligation légale de veiller à sa santé et à sa sécurité au travail ainsi qu’à celles de ses collègues (art. 49 paragr. 2 et 3 LSST);
  • La décision de l’employeur est conforme à la jurisprudence arbitrale (voir notamment Forges de Sorel Cie; Groupe Jean Coutu [PJC] inc.; Compagnie du gypse du Canada, une division de CGC inc.; Ceva Logistics Canada, u.l.c. et Natrel inc.).

Point intéressant à souligner : témoignage de l’experte de l’employeur

L’experte de l’employeur, une médecin-conseil en transport, a fait une revue de la littérature médicale et a témoigné sur les risques associés au travail après six jours consécutifs de travail exécutés par les cols bleus de l’arrondissement Ville-Marie, entre autres :

  • Effets néfastes et destructeurs sur la santé physique et psychologique;
  • Montée en flèche du nombre d’accidents du travail après un certain seuil ainsi que des dépressions, du diabète, etc.;
  • Effets sur le rendement au travail;
  • Données sur la période de repos optimale qui devrait être de 48 heures par cycle de travail; la période de 32 heures est un compromis.

Selon l’experte, travailler plus de 50 heures par semaine de façon récurrente a des conséquences négatives sur la santé et la sécurité des salariés ainsi que des tiers.

Une preuve d’expert qui entraîne toute une prise de conscience sur ce que représentent les enjeux reliés à la fatigue prolongée au travail!

 


Références

Teamsters Québec, local 106 et Transport Hervé Lemieux (1975) inc., (T.A., 2018-09-05), 2018 QCTA 669, SOQUIJ AZ-51550668,&nbnsp;2019EXPT-43.

Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP — local 301) et Ville de Montréal (arrondissement de Ville-Marie), (T.A., 2017-01-16), 2017 QCTA 16, SOQUIJ AZ-51356686, 2017EXPT-537.

Forges de Sorel Cie et Syndicat des aciers forgés de Sorel (CSN), (T.A., 2012-09-14), SOQUIJ AZ-50898068, 2012EXPT-2159, D.T.E. 2012T-756.

Groupe Jean Coutu (PJC) inc. et Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501 (T.A., 1990-09-25), SOQUIJ AZ-91141002, D.T.E. 91 T - 9.

Syndicat national des employés de la Compagnie du gypse du Canada, une division de CGC inc. (CSN) et Compagnie du gypse du Canada, une division de CGC inc. (T.A., 2005-06-30), SOQUIJ AZ-50322210, D.T.E. 2005T-662, [2005] R.J.D.T. 1271.

Teamsters Québec, section locale 931 et Ceva Logistics Canada, u.l.c. (T.A., 2010-02-10), SOQUIJ AZ-50608114, 2010EXPT-849, D.T.E. 2010T-234.

Teamsters Québec, section locale 973 et Natrel inc. (T.A., 2008-09-11), SOQUIJ AZ-50513976, D.T.E. 2008T-905, [2008] R.J.D.T. 1748.

Source : VigieRT, février 2019.

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