Vous lisez : Certificat médical en temps de pandémie

Les tribunaux ont souvent souligné que le droit d’un employeur de requérir un certificat médical de ses salariés absents pour cause de maladie à titre de pièce justificative doit être apprécié à la lumière du droit à la vie privée. Dans certaines circonstances, en conformité avec la convention collective applicable, un tel document pourra aussi être requis si l’employeur désire s’assurer de la capacité du salarié à reprendre son travail après une absence pour cause de maladie. Toutefois, les lignes directrices émises par nos tribunaux à ce sujet doivent être appréciées différemment lorsqu’il est question de santé publique et, plus particulièrement, en situation de pandémie.

À l’heure des bilans sur la gestion de la pandémie de grippe A(H1N1) par nos institutions publiques, il est utile pour le gestionnaire des ressources humaines de tirer quelques leçons de cette situation qui risque probablement de se reproduire, nous rappelle la Direction de la santé publique. Deux décisions arbitrales retiennent plus particulièrement notre attention.

Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 et Ville de Montréal, D.T.E. 2010T-592 (T.A.)
Dans cette affaire soumise à un tribunal d’arbitrage, un salarié mis à pied conteste son congédiement, imposé pour avoir omis de se présenter au travail en temps requis. En effet, la convention collective applicable prévoie la perte d’emploi du salarié omettant de se présenter au travail dans les quatre jours suivant son rappel au travail.

L’employeur rappelle le salarié au travail, d’abord en lui laissant deux messages téléphoniques, à deux jours d’intervalle, lesquels demeurent sans réponse. L’employeur l’avise par lettre deux jours plus tard de la perte de son emploi. Ce n’est qu’après dix jours que le salarié donne signe de vie à l’employeur. Il lui écrit pour l’informer qu’il est atteint de la grippe A(H1N1). Alité, il affirme ne pas avoir eu connaissance des appels téléphoniques, ses symptômes (fièvre et fortes douleurs musculaires) s’étant de plus accentués avec le temps.

L’employeur, sans autre question, demande alors au salarié, en application de sa politique, de justifier son absence en lui transmettant un formulaire rempli par un médecin. Au moment où ce formulaire est porté à l’attention du médecin, le salarié est guéri et en bonne santé.

À l’audience, les parties déposent en preuve le Guide autosoins publié par le ministère de la Santé et des Services sociaux du gouvernement du Québec. Ce guide fait notamment référence au domicile comme premier lieu de soins et recommande de rester à la maison dès le début des symptômes, plus particulièrement en isolement dans une chambre. Le salarié allègue s’être fié à ce guide pour décider de ne pas aller à l’urgence. Au surplus, il s’est même rendu à l’hôpital, mais a dû retourner à la maison sous la directive du préposé au triage.

Le tribunal d’arbitrage accueille le grief et annule le congédiement du salarié. Dans ses motifs, il soutient que :

« [42] L’application de cette politique générale (absence) au présent cas risque fort d’entraîner une injustice à l’égard du plaignant puisque avec les symptômes décrits par le plaignant, il lui était recommandé de ne pas consulter de médecin, de ne pas aller à l’urgence et de rester isolé dans sa chambre. […]

« [50] En plus, l’employeur ne pouvait ignorer lui-même les recommandations faites par le ministère de la Santé et des Services sociaux et devait en tenir compte; ces recommandations faites à la population expliquaient bien facilement que le plaignant n’avait pas de certificat médical pour attester sa maladie. »

[Emphase ajoutée]

Au surplus, le tribunal ne manque pas de rappeler à l’employeur qu’avant de prendre une décision de l’ordre d’un congédiement, aussi lourde de conséquences pour le salarié, il est prudent de prendre sa version des faits et de vérifier si celui-ci invoque un quelconque motif raisonnable en les circonstances.

Cette décision démontre bien l’importance que prennent les directives émises par les autorités compétentes lorsqu’il est question de santé publique. En effet, l’arbitre insiste sur la logique des gestes posés par l’employé, soit de ne pas sortir de la maison, gestes qui s’inscrivaient dans les recommandations émises par le ministère de la Santé. Ces règles doivent également être connues de l’employeur et plus particulièrement de la personne responsable de la gestion des dossiers d’absentéisme en situation de pandémie. En effet, une application stricte des procédures ou politiques dans un tel contexte risque d’être qualifiée de déraisonnable. Comme le souligne l’arbitre dans la décision précitée, « L’application de la règle “pas de certificat médical, pas d’autorisation d’absence” constitue dans les circonstances à son égard, une grave injustice ».

Casino du Lac-Leamy et Syndicat des croupiers du Casino du Lac-Leamy, D.T.E. 2010T-280 (T.A.)
Dans une autre décision rendue par un tribunal d’arbitrage plus tôt cette année, il est cette fois question de la possibilité de refuser le retour hâtif d’un salarié atteint de la grippe A(H1N1).

Dans cette affaire, l’employeur avait adopté une procédure afin de se conformer à l’avis émis par le ministère de la Santé et des Services sociaux du gouvernement du Québec et de ne pas demander de certificat médical pour motiver une absence due à l’apparition de symptômes associés à la grippe A(H1N1). Précisons que cet avis invitait un salarié présentant les symptômes identifiés à rester à la maison durant une semaine complète.

Le salarié concerné voulait ici effectuer un retour hâtif au travail, soit seulement trois jours après l’apparition des symptômes. Pour qu’il puisse revenir au travail, l’employeur exigeait un certificat médical démontrant que le salarié ne présentait aucun risque de contagion.

L’arbitre conclut que l’exigence de l’employeur, un casino employant près de 1800 salariés et faisant affaire avec le public, était raisonnable compte tenu de l’avis émis par le Ministère. De plus, le tribunal souligne ce qui suit :

« Le plaignant ne pouvait être le seul juge de sa capacité à reprendre le travail. La preuve a établi que les autorités médicales prescrivaient un arrêt complet de travail pendant une semaine, correspondant, au surplus, à la période de contagiosité de la grippe A(H1N1). […] Il s’agit tout simplement de l’exercice du droit d’un employeur qui a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé de l’ensemble de ses salariés. Et de l’exercice de son droit de s’assurer qu’un salarié désirant retourner à son poste est apte à le faire. »

Ainsi, conclut l’arbitre, l’employeur était fondé de considérer le salarié comme étant toujours atteint de la grippe A(H1N1), même si les symptômes avaient disparu, la période de repos prescrite pour cette maladie étant d’une semaine complète.

Les tribunaux d’arbitrage accordent donc de l’importance aux directives émises par les autorités en matière de santé publique, et ce, plus particulièrement en situation de pandémie. Ce constat s’inscrit en concordance avec l’obligation de tout employeur d’assurer la santé et la sécurité de ses salariés, obligation prenant source dans différentes lois. Il est donc fondamental que les gestionnaires connaissent les directives émises en matière de santé publique ou toute autre information officielle véhiculée par les autorités en de telles circonstances. Il s’ensuit que les politiques habituellement applicables dans l’entreprise peuvent parfois faire l’objet d’ajustements pour tenir compte de ces situations exceptionnelles.

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Source : VigieRT, octobre 2010.

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