Vous lisez : Les implications juridiques du télétravail

Le télétravail est-il la réponse à plusieurs problèmes rencontrés sur le marché du travail? Le désir des travailleurs de plus en plus sensibilisés à la conciliation travail/vie, jumelé à celui des entreprises de réduire leurs coûts d’exploitation, rend le télétravail très attrayant. Toutefois, cette nouvelle approche a de nombreuses implications juridiques.

Le télétravail est un mode de travail selon lequel l’employé œuvre depuis son domicile plutôt qu’à l’établissement de l’employeur. Le télétravailleur transmet la tâche effectuée soit en personne, soit en utilisant un moyen de télécommunication, d’où l’expression « télétravail ».

Il y a pour l’employeur de nombreux avantages à instaurer ce mode de travail. En effet, il entraîne notamment une diminution du taux d’absentéisme, une hausse de la flexibilité opérationnelle, une augmentation du bassin de candidatures potentielles ainsi qu’un meilleur contrôle des coûts. Quant à l’employé, il bénéficie d’un horaire plus souple, d’un meilleur équilibre entre son travail et sa vie personnelle, d’une diminution du temps de déplacement et des frais connexes.

Malgré les nombreux avantages de cette façon de travailler, le télétravail comporte aussi son lot d’inconvénients. En effet, il est fastidieux pour un employeur de vérifier les heures de travail réellement effectuées, d’assurer la confidentialité de ses activités ainsi que de créer la collaboration et la synergie d’équipe.

Le législateur n’a pas précisément légiféré sur cette tendance. Toutefois, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles s’applique aux télétravailleurs et leur situation n’est pas juridiquement différente de celle des autres travailleurs. Effectivement, les constats tirés de la jurisprudence[1] précisent que, dans la mesure où le télétravailleur exerce une activité de travail rémunérée et qu’il est sous le contrôle de son employeur, toute blessure ou maladie qu’il subit par le fait ou à l’occasion de ce travail constitue une lésion professionnelle.

De plus, en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, l’employeur « doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l'intégrité physique du travailleur »[2]. Cela inclut notamment l’obligation de s’assurer que le domicile du télétravailleur est équipé et aménagé de façon sécuritaire[3]. Par exemple, l’employeur doit veiller à ce que l’employé dispose d’un espace suffisant où l’éclairage et l’ergonomie sont adéquats. En outre, le matériel fourni doit être sécuritaire et en bon état en tout temps[4]. Finalement, l’employeur doit informer, former et superviser adéquatement le télétravailleur afin qu’il soit conscient des risques reliés à son travail[5].

Afin d’être en mesure de respecter ses obligations, l’employeur devrait du moins se réserver un droit d’accès au lieu de travail du télétravailleur, puisque le domicile de celui-ci ne peut être considéré comme un établissement sur lequel l’employeur a autorité. Pour ce faire, il serait avisé de prévoir une clause propre au contrat de travail stipulant que l’employé accepte des visites ponctuelles à son domicile comme condition préalable à son embauche.

De plus, l’employeur désirant assurer sa position eu égard à l’application des lois du travail aurait certainement avantage à élaborer une politique écrite concernant la santé et la sécurité du travail à domicile.

Une telle politique devrait notamment aborder les aspects suivants :

  • le droit d’accès de l’employeur au lieu de travail du télétravailleur;
  • le fournisseur du matériel à être utilisé par l’employé;
  • le ou les espaces du domicile constituant le lieu de travail;
  • le rappel au télétravailleur de son obligation de déclarer toute lésion professionnelle dans les meilleurs délais à son supérieur immédiat;
  • l’énumération des conditions de travail, en particulier en ce qui concerne les heures habituelles de travail et les heures supplémentaires;
  • l’établissement des liens entre les différentes politiques de l’employeur.

Ce mode de travail peut être intéressant dans divers contextes. En effet, il peut être avantageux pour une entreprise de proposer le télétravail dans un contexte d’assignation temporaire. Toutefois, un employeur peut-il imposer le télétravail à un salarié? Dans l’affaire Syndicat des professionnelles du Centre jeunesse de Québec (CSN) c. Desnoyers[6], l’employeur avait imposé à ses employés de demeurer disponibles pour certains quarts de nuit. De plus, l’employeur avait fait installer au domicile de chacun une ligne téléphonique, un ordinateur ainsi qu’un télécopieur afin qu’ils soient tous en mesure de répondre à des appels. Or, la Cour d’appel a jugé que l’imposition du travail à domicile, par l’employeur, constituait une violation constitutionnelle[7] du droit à la vie privée et une intrusion illégitime au domicile de la personne salariée. La Cour d’appel a par ailleurs mentionné que la demeure d’une personne constitue le lieu privilégié de sa vie privée.

Le télétravail n’est certainement pas une solution efficiente pour tous les types d’emploi et pour tous les types d’employés. Plusieurs ouvrages[8] décrivent les conditions de réussite et y mentionnent notamment que les emplois propices au télétravail sont ceux dont le rendement est mesurable, qui nécessitent peu de contacts directs et qui sont propices à l’échange d’information par voie technologique. En ce qui concerne les employés, ils doivent eux aussi démontrer des qualités particulières telles que l’autodiscipline, la motivation au travail, la flexibilité ainsi que la capacité de s’adapter et de fonctionner avec des contacts sociaux réduits.

Patrick Galizia, LL.L., avocat associé au sein du cabinet Ogilvy Renault s.e.n.c.r.l., s.r.l., avec la collaboration d’Audrey Murray, étudiante.

Source : VigieRT, numéro 45, février 2010.


1 Vigneault et ministère du Revenu du Québec, CLP 120229-62B-9907, AZ-99304006, 7 janvier 2000, Nicole Blanchard, commissaire; Duval c. CALP, D.T.E. 97T-1423 (C.S.), 30 octobre 1997, J. Fournier; Daminco et Pinet, CALP 112072-71-9903, AZ-99302451, 29 septembre 1999, Anne Vaillancourt, commissaire.
2 Loi sur la santé et la sécurité au travail, L.R.Q. c. S-2.1, art. 51. [« L.S.S.T. »].
3 LSST, art. 51, paragraphe 3.
4 LSST, art. 51, paragraphe 7.
5 LSST, art. 51, paragraphe 9.
6 Syndicat des professionnelles du Centre jeunesse de Québec (CSN) c. Desnoyers, 2005 QCCA 110, AZ-50296164 (C.A.), 3 février 2005, jj. Gendreau, Thibault et Rochette
7 Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12, articles 5, 7 et 8.
8 Codère, Y., Le Télétravail : Mode d’emploi pour l’entreprise et le salarié, Montréal, Les Éditions Transcontinental inc., 1997, p. 16; Télétravail : concilier performance et qualité de vie, sous la direction de Liette D’Amours, Saint-Hyacinthe, Somabec, 2001, p. 35.
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