Vous lisez : Mieux comprendre la motivation au travail

La motivation est un concept central en gestion des ressources humaines, puisqu’elle fait référence aux efforts et à l’énergie investis dans le travail. Cette énergie sert à déclencher et à réguler les comportements au travail et détermine par conséquent la direction, la durée et l’intensité des comportements en emploi.

Tout le monde désire avoir des employés motivés : les gestionnaires des ressources humaines, les patrons, les superviseurs, etc. Mais encore faut-il savoir par quoi les individus sont motivés. Ainsi, la motivation est un concept qui ne varie pas uniquement en intensité, mais aussi en qualité. En d’autres mots, la motivation peut prendre plusieurs formes, qui peuvent exister à divers degrés chez le travailleur. La présence relative des divers types de motivation engendre pour ce travailleur des conséquences psychologiques, physiques, comportementales et économiques différentes.

Un cadre utile et particulièrement efficace pour comprendre et stimuler la motivation au travail est la théorie de l’autodétermination (TAD), élaborée principalement par deux chercheurs américains, Edward Deci et Richard Ryan de l’université de Rochester. Par rapport à d’autres théories connues, la TAD a le mérite d’identifier sur un continuum tous les types de motivation et leurs différentes conséquences, de montrer et d’expliquer quel est le « carburant » de la bonne motivation et de voir les sources possibles de ce carburant en milieu de travail.

Le « continuum d’autodétermination »
La théorie de l’autodétermination identifie généralement quatre types de motivation, eux-mêmes classés en deux grandes catégories, qui peuvent exister à divers degrés chez un individu, entraînant différentes conséquences (voir figure 1).

Ce continuum va de la forme de motivation la plus autodéterminée (motivation intrinsèque ou motivation « plaisir ») à la forme la moins autodéterminée (motivation extrinsèque ou motivation « récompenses ») et jusqu’à l’absence ou au manque de motivation (amotivation).

Il est important de constater que des conséquences positives sont généralement associées aux deux types de motivation autonome, que des conséquences moins positives ou négatives sont reliées aux formes de motivation contrôlée et que des conséquences généralement négatives sont liées à l’absence de motivation.

Bien qu’il soit évident que la grande majorité des gens a besoin de travailler pour gagner de l’argent (motivation extrinsèque), les recherches sur la TAD ont toutefois permis de découvrir qu’une importance trop grande accordée à ce type de motivation, au détriment des autres, mène à des conséquences moins favorables; en d’autres mots, l’argent ne fait pas nécessairement le bonheur.

Les conséquences des types de motivation : un avantage de la TAD
La force de la TAD par rapport à d’autres théories (par exemple habilitation, mobilisation, implication, théorie des attentes, citoyenneté organisationnelle, fixation d’objectifs, autonomisation, etc.) est le fait qu’elle couvre à la fois les différents types de motivation (qualité) et leur présence (quantité). Le continuum d’autodétermination est un avantage indéniable de la TAD, puisqu’il permet une compréhension fine de la motivation, alors que d’autres modèles ont des catégorisations trop larges (par exemple intrinsèque versus extrinsèque) ou indiquent uniquement des manifestations comportementales au travail sans énoncer les attitudes ou motivations sous-jacentes (par exemple fixation d’objectifs). Cette nuance est capitale, car un travailleur peut dépasser sa définition de tâches (c’est-à-dire démontrer des comportements dits de citoyenneté organisationnelle), parce que cela correspond à ses valeurs (motivation identifiée) ou parce qu’il veut bien paraître aux yeux de son patron (motivation introjectée) et ainsi obtenir un boni lors de sa prochaine évaluation du rendement (motivation extrinsèque). Cette différence est importante, puisque c’est le type de motivation animant le comportement qui mènera à différentes conséquences et non le comportement lui-même.

La figure 2 démontre que plusieurs conséquences positives sont associées à la motivation autonome alors que le portrait est moins reluisant en ce qui concerne la motivation contrôlée. Il est clair, pour un gestionnaire des ressources humaines, qu’il est préférable de stimuler la motivation autonome et de diminuer la motivation contrôlée. Mais comment s’y prendre? Selon la TAD, le levier de gestion principal est la satisfaction de trois besoins psychologiques innés, universels et fondamentaux.

La figure 2 résume plus de trente ans de recherche sur les différences des divers types de motivation.

Les trois besoins psychologiques essentiels
Plusieurs modèles classiques des besoins psychologiques, ceux de Maslow, Alderfer, Herzberg et McClelland notamment, sont apparus au siècle dernier. Bien que ces modèles aient eu le mérite de faire évoluer la pensée scientifique au sujet de l’être humain, leurs bases théoriques ne sont pas aussi solides que celles d’autres théories contemporaines et leur mise à l’épreuve par la méthode scientifique n’a pas permis de démontrer hors de tout doute qu’ils ont actuellement leur place comme cadre interprétatif ou comme outil d’intervention. La TAD a identifié empiriquement les besoins psychologiques les plus centraux pour expliquer le bien-être et a démontré scientifiquement que trois d’entre eux doivent essentiellement être satisfaits pour un fonctionnement optimal dans différentes sphères de vie, dont le travail.

Un besoin est un élément indispensable qui, lorsqu’il est satisfait, mène à un fonctionnement optimal, au bien-être et à l’adaptation et qui, lorsqu’il est frustré ou insatisfait, génère un fonctionnement mitigé, un bien-être moindre ou un mal-être et moins d’adaptation. Un besoin est inné (et non acquis) et doit être universel (présent chez tous les individus, peu importe leur culture).

Les trois besoins innés et universels identifiés par la TAD sont la compétence, l’autonomie et l’affiliation sociale.

La TAD postule que les milieux de travail où la satisfaction des besoins est possible sont bénéfiques, tandis que les milieux où la satisfaction est menacée, où les besoins sont frustrés sont néfastes sur les plans tant individuel qu’organisationnel.

La TAD indique que la satisfaction des besoins est importante… Mais qui dit absence de satisfaction ne veut pas nécessairement dire frustration… C’est donc pourquoi une compréhension complète de l’être humain exige de savoir si les besoins sont satisfaits et aussi s’ils ne sont pas frustrés. Ce fait est important puisque deux individus ayant une satisfaction des besoins sensiblement égale peuvent ressentir des niveaux différents de frustration. En d’autres mots, satisfaction et frustration des besoins peuvent cohabiter et c’est la relative présence de l’un par rapport à l’autre qui détermine si un individu se sent bien et s’épanouit (plus de satisfaction que de frustration des besoins) ou s’il se sent fatigué ou mal au travail (plus de frustration que de satisfaction des besoins).

Donc, contrairement à d’autres modèles qui identifient uniquement les liens entre leur construit de « motivation » et différentes conséquences, la TAD est en mesure d’expliquer comment et pourquoi différents types de motivation se développent. Plus spécifiquement, selon les résultats scientifiques, il est permis de croire que la satisfaction des besoins augmente la motivation autonome et que la frustration des besoins augmente la motivation contrôlée. Mais comment augmenter la satisfaction des besoins et diminuer leur frustration?

Les sources de satisfaction et de frustration des trois besoins psychologiques
La recherche identifie trois grandes sources de satisfaction (ou de frustration) des besoins psychologiques au travail : la rémunération, les relations avec le supérieur immédiat et l’organisation du travail. Selon la TAD, ce sont les trois principaux leviers qui ont un impact sur la motivation des travailleurs (par la satisfaction ou la frustration des trois besoins) et qui, par la suite, ont un effet positif ou négatif sur le bien-être et la performance générale des individus, selon qu’une motivation autonome ou contrôlée a été stimulée.

Comme le montre le modèle intégrateur de la figure 3, la même source de motivation, la rémunération par exemple, peut stimuler la satisfaction ou la frustration des besoins. Une rémunération juste et équitable sur les plans procédural et distributif stimulera la satisfaction des besoins, mais si elle est injuste à ces égards, elle pourra créer une insatisfaction ou une frustration des besoins. Encore là, il s’agit d’un atout solide de la TAD comparativement à d’autres courants théoriques.

Pour une compréhension globale, systémique et scientifique de la motivation au travail
Face à un monde du travail complexe et qui semble parfois difficile à décoder, la TAD offre un cadre d’analyse scientifiquement solide et utile sur le plan de la pratique pour savoir comment stimuler le bien-être et la performance (au sens large) par l’augmentation de la satisfaction des besoins et de la motivation autonome et la réduction simultanée de la frustration des besoins et de la motivation contrôlée.
La TAD peut donc être utile au travail des professionnels de la gestion des ressources humaines, parce qu’elle permet une compréhension globale, systémique et empiriquement prouvée de la motivation au travail.

Jacques Forest, CRHA, Ph. D., professeur, École des sciences de la gestion, UQAM, Laurence Crevier-Braud, B. Sc., doctorante en psychologie industrielle-organisationnelle, UQAM, et Marylène Gagné, Ph. D., professeur, département de management, École de gestion John-Molson

Source : Effectif, volume 12, numéro 3, juin/juillet/août 2009.


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