Vous lisez : Attention aux questions discriminatoires dans un questionnaire préembauche : un employeur condamné à payer des dommages moraux

Cet article s’appuie sur une affaire concernant un poste de préposé aux bénéficiaires pour revenir sur la nature discriminatoire des questions du questionnaire préembauche d’un employeur et les conséquences possibles.

Le Tribunal des droits de la personne (ci-après « le Tribunal ») s’est récemment prononcé sur la légalité d’un questionnaire médical préembauche pour un poste de préposée aux bénéficiaires au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (Centre hospitalier de Trois-Rivières)[1].

Une affaire d’âge et d’antécédents médicaux

Cette affaire débute en 2013 au moment où G.C. soumet sa candidature au poste de préposée aux bénéficiaires. Dans le processus, elle doit remplir le questionnaire médical de l’employeur qu’elle décrit comme une forme de bilan de santé complet dans lequel elle doit fournir tous ses antécédents médicaux.

Suivant la transmission de sa candidature, elle est convoquée à un entretien d’embauche avec le comité de sélection. Il importe de noter qu’il n’a pas pris connaissance du contenu des questionnaires médicaux, ces derniers étant transmis directement au Service de prévention, santé et sécurité du travail de l’établissement.

Quelques jours après, G.C. est avisée que sa candidature n’est pas retenue. Elle est alors convaincue qu’elle n’a pas été embauchée en raison de son âge, ce qui la pousse à porter plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après « la Commission »).

Au terme de son enquête, la Commission conclut que la candidature de G.C. n’a pas été écartée en raison de son âge, mais en raison de la faible note qu’elle a obtenue lors de son entretien d’embauche. Elle a en effet obtenu une note de 42,5 sur 100.

La Commission conclut toutefois que le questionnaire médical préembauche rempli par G.C. contrevient aux dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne[2] (ci-après « la Charte »), notamment en ce qu’il excède la vérification des qualifications requises pour l’exécution sûre et efficace des tâches de l’emploi de préposé aux bénéficiaires.

Les questionnaires préembauche comprenant des questions sur l’état de santé des candidats sont utilisés par de nombreux employeurs. Toutefois, comme plusieurs le savent, la protection accordée aux candidats par la Charte interdit les questions discriminatoires n’ayant aucun lien avec les aptitudes et les qualités exigées par un emploi indépendamment de la possibilité que les candidats soient ultérieurement pénalisés par les réponses données à ces questions.

Autrement dit, sans égard à leur utilisation, l’existence de telles questions discriminatoires suffit à prouver une atteinte au droit protégé à l’article 18.1 de la Charte voulant que :

« Nul ne peut, dans un formulaire de demande d’emploi ou lors d’une entrevue relative à un emploi, requérir d’une personne des renseignements sur les motifs visés dans l’article 10 sauf si ces renseignements sont utiles à l’application de l’article 20 ou à l’application d’un programme d’accès à l’égalité existant au moment de la demande. »

Le CIUSSS a admis qu’il a porté atteinte au droit de G.C. à un processus d’embauche exempt de discrimination en requérant des renseignements sur son âge et son état de santé qui n’étaient pas utiles pour évaluer les aptitudes et les qualités requises pour occuper un poste de préposée aux bénéficiaires[3].

Par conséquent, cette démarche constitue une intrusion indue dans la vie privée de G.C. et porte atteinte aux droits à la sauvegarde de sa dignité et au respect de sa vie privée[4].

Une question de préjudice

Malgré l’atteinte aux droits fondamentaux de G.C., la preuve d’un préjudice demeure nécessaire pour que le Tribunal puisse lui accorder des dommages moraux.

Ici, il a été démontré que G.C. a été bouleversée par les questions qui lui ont été posées dans le questionnaire médical.

Elle a indiqué que les questions concernant des fractures qu’elle a pu subir lui ont remémoré des moments difficiles de sa vie, soit une union conjugale ponctuée de violence physique et où elle s’est retrouvée, à plus d’une reprise, à consulter des médecins en raison de fractures à la suite de coups reçus. Également, elle a volontairement décidé de ne pas répondre à la question sur son cancer tout en sachant qu’elle risquait de voir sa candidature rejetée si elle cachait certains renseignements.

Enfin, la question au sujet de son âge lui a rappelé qu’elle s’est vu refuser plusieurs emplois pour ce motif.

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal a été d’avis qu’une somme de 2 500 $ compensait raisonnablement les préjudices moraux subis par G.C.

Toutefois, des dommages punitifs n’ont pas été octroyés à G.C. étant donné l’absence de preuve démontrant une volonté de causer un préjudice ou que le CIUSSS, à l’époque de l’événement, savait que le questionnaire préembauche contrevenait à la Charte[5].

L’intérêt public et le moment d’exiger de remplir le questionnaire

Par ailleurs, au-delà des faits précédents, la Commission a demandé au Tribunal de rendre une ordonnance[6] afin que le nouveau questionnaire médical préembauche utilisé et daté de 2016 respecte les termes de l’article 18.1 de la Charte et pour qu’il ne soit exigé qu’après qu’une offre d’emploi conditionnelle ait été présentée au candidat.

L’analyse du Tribunal a d’abord révélé qu’il existait une différence substantielle entre le questionnaire médical préembauche daté de 2013 et celui de 2016, ce qui rendait ce dernier, en grande partie, conforme aux exigences de la Charte.

En effet, contrairement au questionnaire daté de 2013, celui de 2016 contenait une description des aptitudes essentielles pour le type d’emploi postulé suivi d’une énumération des maladies qui devaient être déclarées et pouvant affecter les aptitudes ainsi que la capacité du candidat à occuper l’emploi convoité. Il ne requérait également plus le numéro d’assurance-maladie et l’âge des candidats aux fins de leur identification.

Toutefois, le Tribunal a jugé que la section « questions d’ordre général » sur les « limitations fonctionnelles ou les séquelles permanentes ou temporaires, tant physiques que psychologiques à la suite d’un accident du travail, d’une maladie professionnelle (CNESST), d’un accident indemnisé par la SAAQ, d’un acte criminel (IVAC), d’un événement personnel ou d’une maladie » était sans lien avec les aptitudes et les qualités requises pour exercer l’emploi de préposé aux bénéficiaires. C’est la raison pour laquelle il a ordonné à l’employeur de réviser cette section du questionnaire.

En ce qui concerne le moment où doit être rempli le questionnaire médical préembauche, le Tribunal a refusé, pour une troisième fois[7], de se ranger du côté de la Commission et d’ordonner qu’il ne soit exigé qu’après qu’une offre d’emploi conditionnelle ait été présentée au candidat.

Essentiellement, pour le Tribunal, à compter du moment où « le questionnaire respecte l’article 18.1 de la Charte, le moment où les informations relatives à la condition de santé liées à la capacité d’effectuer l’emploi convoité sont requises importe peu. »[8]

Comment éviter une telle situation?

Les employeurs doivent porter une attention particulière au contenu de leur questionnaire préembauche et, particulièrement, aux questions portant sur l’état de santé des candidats.

Rappelons que la Charte vise à éliminer la discrimination lors du processus d’embauche en interdisant des questions concernant les caractéristiques personnelles des candidats n’ayant aucun lien avec les aptitudes ou les qualités requises par un emploi[9]. La protection accordée par la Charte vise à enrayer, à sa source, la violation du droit à l’égalité en emploi[10].

Ainsi, l’utilisation qui est ensuite faite par l’employeur de cette information recueillie n’a aucune incidence dans l’évaluation de l’atteinte au droit protégé par l’article 18.1 de la Charte et donne droit à réparation, si le candidat démontre son préjudice.

L’employeur s’expose dès lors à devoir verser des dommages moraux au candidat et s’il y a de plus une atteinte illicite et intentionnelle de sa part, des dommages punitifs[11].

Nous rappelons également que les mêmes principes s’appliquent aux questions posées aux candidats lors de l’entrevue d’embauche.

La prudence est donc de mise, et il faut poser des questions uniquement en fonction des aptitudes et des qualités requises avec le poste à combler.

Source : VigieRT, octobre 2020.

1 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (G.C.) c. CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (Centre hospitalier de Trois-Rivières), 2020 QCTDP 5.
2 RLRQ, c. C-12.
3 Id., art. 10, 18.1 et 20.
4 Id., art., 4 et 5.
5 Id., art., 49.
6 Id., art., 80.
7 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Bathium Canada inc., 2015 QCTDP 13; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.A.) c. Le Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides, 2017 QCTDP 2.
8 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (G.C.) c. CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (Centre hospitalier de Trois-Rivières), préc., note 1, par. 97.
9 Charte des droits et libertés de la personne, préc., note 2, art. 20.
10 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Magasin Wal-Mart            Canada inc., D.T.E. 2003T-429 (T.D.P.Q.), par. 174.
11 Charte des droits et libertés de la personne, préc., note 2, art. 49.
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