Vous lisez : La réforme réformée : le Programme de l’expérience québécoise à risque?

Les auteurs reviennent sur les récents événements entourant les modifications au Règlement sur l’immigration au Québec réformant le Programme de l’expérience québécoise. Quelles sont les modifications à prévoir? Quels sont les effets sur les travailleurs et les étudiants? Que faut-il surveiller en vue du nouveau projet?

Le 30 octobre dernier, le Ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) a publié par décret une série de modifications au Règlement sur l’immigration au Québec, lesquelles sont, pour la plupart, entrées en vigueur le 1er novembre avec effet rétroactif. Ces modifications réformaient profondément le Programme de l’expérience québécoise (PEQ), un programme d’accès accéléré à la résidence permanente canadienne pour les individus ayant étudié ou travaillé au Québec. Aucune consultation publique n’avait été tenue.

Le 6 novembre, face à la grogne populaire, le premier ministre du Québec a annoncé l’annulation de l’effet rétroactif des modifications. Le vendredi 8 novembre en soirée, au terme d’une semaine de protestations des milieux universitaires et professionnels, il a annoncé la suspension complète des modifications au Règlement sur l’immigration au Québec entrées en vigueur le 1er novembre. Le 13 novembre, le gouvernement a officiellement publié le retrait du décret du 30 octobre concernant l’immigration et le retour aux anciennes règles du PEQ.

Battant en retraite complètement, le gouvernement a promis la tenue de consultations afin de mieux structurer sa réforme des programmes québécois d’immigration.

Les modifications au PEQ à prévoir

Puisque le gouvernement a déjà annoncé qu’il maintiendrait son plan de réforme du PEQ, il demeure important d’étudier les modifications du 30 octobre pour se préparer aux prochaines annonces en matière d’immigration.

Les modifications publiées le 30 octobre touchaient principalement les candidats utilisant le PEQ afin d’obtenir un Certificat de sélection du Québec, étape nécessaire pour l’obtention de la résidence permanente au Canada. Datant de 2010, ce programme vise à tracer une voie rapide pour les candidats ayant déjà travaillé ou étudié au Québec. Dans les faits, le PEQ est sans doute le chemin le plus direct vers la résidence permanente pour grand nombre d’immigrants souhaitant s’établir au Québec. Avec une demande complète, un Certificat de sélection du Québec est émis en 30 jours, lequel permet au candidat de maintenir facilement un droit de travailler au Canada en attente de l’obtention de sa résidence permanente. Cette rapidité de traitement de demande et la possibilité d’obtenir un permis de travail rapidement sont deux avantages indéniables du PEQ.

Effets sur les travailleurs

La réforme du 30 octobre visait d’abord directement les travailleurs étrangers temporaires : alors que 12 mois d’expérience de travail au Québec étaient anciennement suffisants pour se qualifier sous le PEQ, le nouveau règlement exigeait maintenant que l’emploi occupé au Québec soit inscrit dans une liste d’emplois admissibles. Cette liste (qui devait être revue à une fréquence indéterminée) était établie par le MIFI et ciblait les besoins permanents du marché du travail selon les pénuries régionales. Ce système de listes établi par le MIFI a été au centre du débat à l’encontre des réformes. Le public a décrié ces listes : elles n’étaient pas représentatives des actuelles pénuries du marché du travail et, en raison de leur nature statique, elles ne pourraient répondre en temps réel aux besoins de la province.

À titre d’exemple, suivant la réforme, un travailleur étranger pratiquant à titre de travailleur social au Québec ne pouvait plus utiliser le PEQ, puisque les travailleurs sociaux ne figuraient pas sur la liste du MIFI, et ce, même s’il avait étudié au Québec.

Malgré le mécontentement général, le ministre de l’Immigration a déjà annoncé que la prochaine réforme du PEQ inclurait nécessairement des listes, mais a indiqué qu’elles seraient établies en collaboration avec le public.

Effets sur les étudiants

Dans sa mouture initiale, le PEQ était un raccourci pour les étudiants ayant complété la totalité d’un programme d’études au Québec. La logique veut qu’une personne ayant complété un programme d’études au Québec est déjà établie et, dans une certaine mesure, intégrée au Québec. Le PEQ aidait donc les diplômés à rester au Québec, peu importe le type de diplôme obtenu. L’étudiant devait toutefois avoir complété un certain nombre d’heures d’études dans un programme reconnu pour pouvoir utiliser le PEQ. Or, le nouveau règlement prévoyait désormais que seuls les étudiants ayant obtenu un diplôme inclus dans une courte liste de programmes établie par le MIFI pourraient se prévaloir du PEQ. À titre d’exemple, un étudiant ayant obtenu une maîtrise en génie informatique ne pouvait utiliser le PEQ puisque ce diplôme n’était pas mentionné dans la liste du MIFI. Or, il s’agit d’une profession où les besoins sont criants dans toute la province.

Le recul face à la réforme

Toutes les mesures mentionnées ci-dessus devaient avoir un caractère rétroactif, c’est-à-dire que toutes les demandes en cours de traitement devaient être évaluées selon les nouveaux critères. Cette rétroaction créait une forme d’injustice pour des milliers de personnes déjà installées au Québec et ayant payé des frais et déposé des demandes sous le PEQ en évaluant leur admissibilité selon les anciennes règles.

Le 6 novembre, à la suite de nombreuses protestations contre les modifications, le ministre de l’Immigration a révisé sa position quant à l’effet rétroactif des modifications au règlement. Le 8 novembre, le premier ministre du Québec a officiellement avisé la population que toutes les modifications au Règlement sur l’immigration étaient suspendues. Le 13 novembre, un décret a été publié pour confirmer le retour aux anciennes règles du PEQ en attente d’une nouvelle mouture de la réforme.

Le test des valeurs démocratiques et la connaissance du français

Quelques autres points sont aussi à surveiller en prévision de la prochaine réforme.

Selon les modifications du 30 octobre, deux critères devaient s’ajouter à la grille d’analyse du PEQ, tant pour les travailleurs étrangers que pour les étudiants en date du 1er janvier 2020 :

  1. Tous les candidats, leurs conjoints et enfants à charge majeurs, devaient se soumettre à un test d’apprentissage des valeurs démocratiques et québécoises exprimées par la Charte des droits et libertés de la personne. Cet examen pouvait s’effectuer en ligne ou par cours présentiel, et les modalités semblaient plutôt flexibles; ET
  2. Le conjoint ou la conjointe de tout candidat au PEQ devait se soumettre à une évaluation de sa connaissance du français oral et démontrer un niveau intermédiaire avancé.

Si le critère du test de valeurs semble plutôt superficiel, le second critère, devant entrer en vigueur le 1er janvier 2020, était majeur. L’apprentissage du français par le conjoint ou la conjointe est un défi pour beaucoup de familles immigrantes. Même si le MIFI rassure les candidats en leur rappelant que les conjoints bénéficient de cours de francisation gratuits au Québec, la réalité suggère que les conjoints (qui, par ailleurs, ne sont pas toujours sur place au Québec) ne sont pas toujours disponibles pour participer à ces cours, rendant ce critère particulièrement ardu pour nombre de familles. Trop souvent, alors qu’un candidat étudie, le conjoint doit travailler, s’occuper de la maison ainsi que des enfants, et l’apprentissage rapide du français par cours du soir n’est simplement pas réaliste.

Aucune annonce officielle n’a été faite, mais il est hautement prévisible que les critères concernant le test des valeurs et les connaissances du français du conjoint se retrouveront dans la prochaine réforme, puisque ces deux critères reflètent les prises de position de la Coalition Avenir Québec. Mieux vaut donc suggérer aux candidats potentiels du PEQ de s’y préparer dès maintenant.

Pourquoi une réforme du PEQ?

Pourquoi tant de modifications à un programme qui fonctionne pourtant très bien et qui jouit d’une excellente réputation pour sa rapidité, son efficacité et ses résultats en matière d’intégration au Québec? Le ministre de l’Immigration nous explique que ce programme est victime de son propre succès. Faisant face à une forte demande et à une pénurie de main-d’œuvre, le gouvernement justifie sa réforme par son objectif (et sa promesse électorale) de mieux arrimer l’offre et la demande sur le marché du travail.

Si des modifications peuvent avoir leur place dans le Plan d’immigration du Québec de 2020, rien toutefois n’explique l’entrée en vigueur accélérée (2 jours de préavis) et l’annonce initiale du caractère rétroactif des modifications, le tout sans aucune consultation publique. À l’heure actuelle, le premier ministre du Québec a fait son mea culpa et révoqué les modifications au Règlement sur l’immigration, mais il aura fallu un soulèvement populaire pour convaincre le gouvernement que les modifications au PEQ étaient déraisonnables.

Conséquences

Bien que le gouvernement ait suspendu les modifications au Règlement sur l’immigration, il promet de préparer rapidement un nouveau projet de loi. Il est à prévoir que ce projet inclura à nouveau des listes de sélection de candidats selon les programmes d’études et les professions. Les listes d’emplois et de programmes d’études admissibles étant naturellement restrictives, elles réduisent les chances de futur au Québec pour nombre de travailleurs déjà établis et contribuant à son économie. Certes, ces personnes peuvent se tourner vers le Programme régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ) via la plateforme Arrima, mais ce programme est aussi en restructuration par le MIFI depuis plus d’un an.. Il faudra attendre la fin de la réforme de ce programme pour avoir des résultats concluants.

Beaucoup de candidats étudient déjà d’autres options pour s’établir au Québec. D’autres regardent vers les autres provinces ou même vers un départ définitif du Canada. Face à tant d’incertitude, il est recommandé de déposer sans tarder une déclaration d’intérêt via le système Arrima, dans l’espoir que le gouvernement y clarifie sous peu sa méthode de sélection.

En somme, l’avenir paraît incertain pour nombre de candidats qui ne peuvent faire autre chose que manifester publiquement leurs inquiétudes en attente de la prochaine réforme.

Source : VigieRT, décembre 2019.

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