Vous lisez : Une réclamation pécuniaire en vertu de la Loi sur les normes du travail : l’exception à la règle des petites créances

Depuis 2002, le montant maximal pouvant être réclamé devant la Cour du Québec, Division des petites créances, était de 7 000 $. Cependant, à compter du 1er janvier 2015, le seuil maximal d’admissibilité a été augmenté à 15 000 $. Ce changement a ainsi favorisé l’accessibilité à la justice à un plus grand nombre de justiciables qui se représentent seuls et n’ont donc pas à assumer les coûts juridiques associés à la représentation obligatoire par avocat. Parmi les justiciables pouvant introduire une telle demande en recouvrement de petites créances, on trouve notamment les employeurs détenant une entreprise comptant, dans les 12 mois précédant la demande, au plus 10 personnes liées à elle par contrat de travail[1].

Ce faisant, il y a lieu de s’interroger sur la possibilité pour un employeur, lorsqu’il est poursuivi dans un recours civil institué par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après : « CNESST ») pour moins de 15 000 $, de demander le transfert du dossier à la Division des petites créances. En d’autres termes, une réclamation pécuniaire due en vertu de la Loi sur les normes du travail (ci-après : « L.n.t. »), que ce soit du salaire, des heures supplémentaires, des vacances ou encore une indemnité de préavis de fin d’emploi, peut-elle constituer une petite créance?

En 2004, la Cour d’appel a été appelée à se prononcer sur cette question dans la décision Commission des normes du travail c. 9092-5553 Québec inc[2]. Elle devait y statuer sur un jugement de la Cour du Québec ayant autorisé le transfert d’un dossier à la Division des petites créances.

Afin de trancher cette question, la Cour d’appel a pris appui sur l’article 953 du Code de procédure civile (ci-après : « C.p.c. »), lequel se lisait à l’époque comme suit :

« 953. Les sommes réclamées dans une demande portant sur une petite créance, c’est-à-dire :

a) une créance qui n’excède pas 7 000 $, sans tenir compte des intérêts;

b) qui est exigible par une personne, une société ou une association, en son nom et pour son compte personnel ou par un tuteur, un curateur ou un mandataire dans l’exécution du mandat donné en prévision de l’inaptitude du mandant ou par un autre administrateur du bien d’autrui;

ne peuvent être recouvrées en justice que suivant le présent livre. […] »

La Cour d’appel, infirmant la décision de la Cour du Québec, a expliqué que, pour être en présence d’une « petite créance » à proprement parler, l’ensemble des conditions cumulatives prévues à l’article 953 C.p.c. devait être rempli. Or, dans la mesure où la CNESST, lorsqu’elle intente une poursuite civile pour recouvrer des sommes dues en vertu de la L.n.t., n’agit pas « en son nom et pour son compte personnel », mais bien pour le compte d’un salarié, en vertu d’un pouvoir qui lui est conféré par la loi[3], sa réclamation ne saurait, conséquemment, constituer une petite créance. À cet égard, la Cour d’appel a plus particulièrement conclu que :

« [22] L’art. 953 C.p.c. définit une petite créance. Si cette définition se limitait au montant exigible, la question serait simple et la réponse tout autant. Cependant, cette définition ne se limite pas au montant en cause : le législateur prend soin de préciser que, outre la somme maximale de 7 000 $, cette créance doit être exigible par une personne, une société ou une association, en son nom et pour son compte personnel. […]

[23] En l’espèce, conformément à l’art. 39 al. 8 de la Loi, la Commission intente la poursuite en son propre nom mais pour le compte du salarié, puisque la réclamation principale, de l’ordre de 1 767,79 $ représente une somme d’argent qui serait due au salarié au chapitre du salaire et du congé annuel (voir également l’art. 113). Si cette somme est recouvrée, elle sera donc par la suite versée au salarié qui y aurait droit (art.121).

[24] Par ailleurs, vu l’art. 39 al. 8 de la Loi, l’opposition ou la renonciation du salarié n’aurait aucun effet sur l’habilité de la Commission à agir en justice. […]

[27] Bien que la Commission ne soit pas le mandataire du salarié, elle agit néanmoins pour le compte de celui-ci et tient son pouvoir d’agir non pas du salarié mais bien de la Loi.

[39] Quel que soit le statut du défendeur, je suis d’avis qu’il ne peut y avoir transfert du dossier devant la division des petites créances de la Cour du Québec. »[4].

Finalement, quant à l’un des arguments soulevés par l’intimée relatifs au fait que, dans ses réclamations pécuniaires, la CNESST réclame, pour son compte personnel, une somme équivalant à 20 % de la réclamation[5] à titre de financement de l’organisme[6], la Cour d’appel a conclu que cette somme ne constitue qu’un accessoire qui doit donc subir le même sort que la réclamation principale[7].

Or, l’entrée en vigueur, en janvier 2016, du nouveau Code de procédure civile du Québec est venue modifier les dispositions relatives aux petites créances. Plus particulièrement, l’ancien article 953 C.p.c. a été remplacé par l’article 536, lequel ne définit plus explicitement une petite créance, mais stipule plutôt que :

« 536. La demande en recouvrement d’une créance d’au plus 15 000 $, sans tenir compte des intérêts, ou celle visant la résolution, la résiliation ou l’annulation d’un contrat dont la valeur et, le cas échéant, le montant réclamé n’excèdent pas chacun 15 000 $, est introduite suivant les règles du présent titre si le demandeur agit en son nom et pour son compte personnel ou s’il agit comme administrateur du bien d’autrui, tuteur ou curateur ou en vertu d’un mandat de protection.

Une personne morale, une société ou une association ou un autre groupement sans personnalité juridique ne peut agir en demande suivant les règles du présent titre, à moins qu’en tout temps au cours de la période de 12 mois ayant précédé la demande, elle ait compté sous sa direction ou son contrôle au plus 10 personnes liées à elle par contrat de travail. »

Conséquemment s’est posée la question de savoir si ce nouveau Code avait modifié le droit antérieur ou si l’interprétation jurisprudentielle qui prévalait depuis 2004 demeurait applicable. Or, une décision récente est venue confirmer que le droit antérieur était toujours applicable quant à cette question.

En effet, dans la décision CNESST c. Alain Gaudreau et als.[8], la Cour du Québec a refusé de transférer la demande instituée par la CNESST à la Division des petites créances. Dans son jugement, le juge réfère spécifiquement au fait que, bien que le texte des dispositions législatives ait changé, la condition que le demandeur agisse « en son nom et pour son compte personnel » est toujours présente au libellé de l’article 536 C.p.c. Quant aux modifications législatives, il a conclu plus particulièrement ce qui suit :

« [8] Ce changement dans le libellé de ce qui constitue une demande visant le recouvrement d’une petite créance n’a pas toutefois pour effet de modifier le droit antérieur. Le législateur impose toujours la condition que le demandeur agisse pour son compte personnel : “la demande en recouvrement d’une créance d’au plus 15 000 $ […] est introduite suivant les règles du présent titre si le demandeur agit […] pour son compte personnel. […]”

[9] Le raisonnement sous-jacent de la Cour d’appel est donc toujours applicable. […]
[10] Mes collègues qui se sont penchés sur cette question ont également conclu que l’arrêt de la Cour d’appel s’applique toujours. En particulier, l’honorable Henri Richard, JCQ,&anbsp;écrit :

“[…] qu’après analyse des premiers éléments des articles 553 C.p.c. et 971 de l’ancien Code de procédure civile, le Tribunal constate que l’état du droit ne change pas à cet égard, bien que les libellés de ses alinéas diffèrent”.


[11] Les motifs qu’invoquent les défendeurs ne peuvent contrer le choix du législateur : lorsque le demandeur n’agit pas pour son compte personnel, les règles procédurales relatives à la Division des petites créances ne s’appliquent pas. »[9].

En somme, malgré l’entrée en vigueur de nouvelles dispositions relatives aux petites créances, le salarié lésé peut continuer à être représenté gratuitement par un avocat de la CNESST, lequel prendra en charge les procédures judiciaires requises afin que l’employé puisse recouvrer les normes pécuniaires qui ne lui ont pas été versées par son employeur.

Source : VigieRT, mai 2019.

1 À cet effet, voir l’article 536 C.p.c
2 2004 CanLII 60130 (QC CA).
3 À cet effet, voir les articles 39 par.8, 98 et 113 L.n.t.
4 Commission des normes du travail c. 9092-5553 Québec Inc., préc., note 2, par. 22-24, 27 et 39.
5 À cet effet, voir l’article 114 L.n.t.
6 Commission des normes du travail c. Garage Gaston Chartier et Fils inc., 2016 QCCQ 572, par. 30.
7 Commission des normes du travail c. 9092-5553 Québec Inc, préc., note 2, par. 26.
8 2017 QCCQ 12892.
9 Id.em>, par. 8-11.
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