Vous lisez : L’imputation des coûts sans lien avec une lésion professionnelle

Le principe général d’imputation des coûts liés à une lésion professionnelle selon la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (ci-après la « LATMP ») y est énoncé à l’article 326. Il est fort simple : lorsque les coûts sont en lien avec la lésion, ils sont imputés au dossier financier de l’employeur. Cet article se lit comme suit :

« 326. La Commission impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi.

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d’un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers ou d’obérer injustement un employeur.

L’employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d’un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l’année suivant la date de l’accident. »

La section[2] sur l’imputation des coûts de la Loi prévoit toutefois des mécanismes pour l’employeur afin d’obtenir un partage ou un transfert d’imputation. Nous pouvons notamment penser au cas du travailleur déjà handicapé au moment où survient sa lésion professionnelle, à l’accident causé par un tiers ou à une maladie professionnelle attribuable à plusieurs employeurs.

Le deuxième alinéa de l’article 326 LATMP prévoit également la possibilité d’un transfert d’imputation, notamment, lorsque l’employeur est obéré injustement des coûts d’une lésion professionnelle. Afin d’obtenir un transfert d’imputation en vertu de cet article, l’employeur doit, entre autres, faire la démonstration que les coûts de la lésion professionnelle lui sont imputés injustement et que l’imputation de ces coûts crée pour lui un fardeau financier important. Ce dernier élément peut parfois être difficile à démontrer pour les employeurs. En effet, dans un seul dossier, l’imputation des coûts ne représente peut-être pas un fardeau financier important pour un employeur, toutefois, l’accumulation de plusieurs « petits fardeaux » pourrait avoir un impact important pour lui. Ce n’est toutefois pas le critère retenu par les décideurs afin d’accorder un transfert d’imputation en vertu de l’article 326(2) LATMP.

De plus, le délai pour faire une telle demande est d’un an suivant la date de la lésion professionnelle. Ce délai est toutefois impossible à respecter si le fait donnant droit à « l’obération » survient après l’année suivant la lésion professionnelle.

Or, une autre avenue pour le transfert d’imputation est dorénavant possible. En effet, en octobre 2013, une juge administrative a rendu une décision importante en matière de transfert de l’imputation dans l’affaire Supervac 2000[3].

Dans cette affaire, l’employeur demandait un transfert de l’imputation de l’indemnité de remplacement du revenu (ci-après, l’« IRR ») versée à un travailleur qu’il avait congédié pour cause alors qu’il était en assignation temporaire. L’employeur alléguait que l’IRR versée au travailleur postérieurement au congédiement devait être retirée de son dossier financier puisqu’elle avait été versée non pas en raison de la lésion professionnelle, mais plutôt à cause de la fin de l’assignation temporaire due au congédiement.

À la suite d’une analyse des diverses dispositions de la LATMP en matière d’imputation, la juge a estimé qu’elle ne pouvait accorder la requête à l’employeur en vertu du deuxième alinéa de l’article 326 LATMP comme demandé. En effet, selon son interprétation, l’alinéa 2 de l’article 326 LATMP n’autorise qu’un transfert complet de la totalité des coûts (IRR, frais, etc.) pour une période donnée. Ainsi, dans ce dossier, lorsque l’employeur a demandé que seule l’IRR, et non les autres frais (ergothérapie, physiothérapie, consultations médicales ou autres), soit désimputée de son dossier financier, il s’agissait alors d’un transfert partiel.

Cependant, la juge a poussé son raisonnement plus loin et a conclu que selon le principe général d’imputation des coûts, les prestations versées qui ne sont pas en lien direct avec la lésion professionnelle doivent être retirées du dossier financier de l’employeur. Elle a donc estimé que « les demandes de transfert partiel de coûts [devraient] plutôt être analysées en vertu du premier alinéa de l’article 326 LATMP afin de déterminer si les prestations ont été imputées ou non en raison de l’accident du travail[4]. »

Les conséquences d’une telle décision sont importantes en ce qui concerne les demandes de transfert d’imputation puisqu’elle modifie le délai pour faire la demande de transfert d’imputation ainsi que le fardeau de preuve de l’employeur. En effet, en raison des conclusions de l’affaire Supervac, l’employeur doit faire sa demande de transfert partiel d’imputation dans le délai de la prescription civile, soit dans un délai de trois (3) ans. Par ailleurs, son fardeau se limite à démontrer l’absence de lien direct entre les prestations qu’il souhaite faire retirer de son dossier et la lésion professionnelle.

Une requête en révision judiciaire a été déposée le 26 novembre 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (ci-après la « CSST »). Le jugement de la Cour supérieure[5], grandement attendu par les employeurs, a été rendu le 14 décembre dernier.

La juge de la Cour supérieure a décidé que l’interprétation retenue par la CLP était raisonnable et a donc confirmé le jugement. En effet, elle a estimé que la CLP avait adopté une méthode d’analyse basée sur une interprétation contextuelle des dispositions législatives tout en considérant que les dispositions concernant le financement sont interreliées. Pour la Cour supérieure, le raisonnement de la juge est intelligible et raisonnable. La juge précise que la juge de la CLP a bien fait la distinction entre le versement des prestations devant être versées à un travailleur, soit l’indemnisation, et l’imputation des coûts au dossier financier de l’employeur. En effet, le travailleur a droit aux versements de l’IRR, mais, dans certaines circonstances, ces coûts ne devraient pas être imputés au dossier de l’employeur puisqu’ils ne sont pas dus en raison de l’accident du travail, mais en raison d’une situation étrangère à cet accident, n’ayant aucun lien direct avec celui-ci.

Grâce à cette décision, les employeurs pourront obtenir des transferts partiels d’imputation plus facilement et n’auront plus à démontrer le caractère injuste de l’imputation des prestations ainsi que son fardeau financier important. L’interprétation retenue par la CLP et confirmée par la Cour supérieure permet donc aux employeurs de se voir dégagés des coûts des prestations qui ne sont pas en lien avec la lésion professionnelle. Ceci s’applique, notamment, à des cas de maladie intercurrente qui interrompent l’assignation temporaire, de retraites en cours de lésion, de congédiements, de déménagements longue distance, etc.

Cette interprétation avait été appliquée par plusieurs juges administratifs de la CLP. Tout porte à croire que cette nouvelle application de l’article 326 LATMP sera retenue par les décideurs. C’est une suite de la décision rendue dans Pavillon Mailloux[6] confirmée par la Cour supérieure.

Plusieurs dossiers de demande de transfert d’imputation faite en vertu de l’article 326 LATMP ont été mis en suspens dans l’attente de la décision de la Cour supérieure en révision judiciaire. Les employeurs devront toutefois attendre encore quelques mois avant de savoir s’ils auront droit à un remboursement ou non, puisque la CSST a décidé d’en appeler de la décision devant la Cour d’appel. La requête est présentable le 11 février 2015.

Il faudra donc surveiller le déroulement de cette affaire afin de savoir si les employeurs peuvent faire des demandes de transfert d’imputation en vertu du premier alinéa de l’article 326. L’interprétation de la CLP et de la Cour supérieure semble conforme à l’esprit de la Loi, il reste à savoir si la Cour d’appel sera en accord avec celle-ci.

Source : VigieRT, février 2015.


1 RLRQ, c. A-3.001, ci-après la « LATMP ».
2 LATMP : Section VI du chapitre IX sur le financement.
3 2013 QCCLP 6341, Ann Quigley, juge administrative.
4 Id, par. 96.
5 2014 QCCS 6379, Suzanne Ouellet, j.c.s.
6 2012 QCCLP 2553 (requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Québec, 200-17-1016380-123, 14 février 2013, j. Bouchard).
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