Vous lisez : La vie en rose - Bâtir ensemble

Lorsque François Roberge s’est porté acquéreur de La Vie en Rose en 1996, l’entreprise ne comptait que vingt magasins. Douze ans plus tard, la PME québécoise exploite près de cent soixante succursales, réparties dans sept provinces canadiennes. Des chiffres qui contribuent à en faire l’un des principaux joueurs au pays dans son secteur d’activité.

Pour atteindre ces résultats, l’audacieux président-directeur général avoue miser d’abord et avant tout sur le travail d’équipe. Une philosophie qui s’exprime au quotidien par une très grande préoccupation du personnel en place, au grand plaisir de la vice-présidente, ressources humaines de l’organisation, Lyne Raymond, CRHA. Leur mot d’ordre : bâtir ensemble.

Tout sourire, confortablement installé dans l’un des fauteuils de son bureau au siège social de l’entreprise à Montréal, François Roberge est catégorique : seul, il ne serait jamais parvenu à faire de La Vie en Rose ce qu’elle est aujourd’hui. « J’ai réussi, affirme-t-il, parce qu’il y a une équipe autour. Certains sont là depuis la première heure, d’autres se sont greffés par la suite. J’ai toujours dit que le personnel était l’actif le plus important chez nous et je le crois sincèrement. »

L’actif en question a pris beaucoup de poids au cours de la dernière décennie. L’entreprise compte en effet aujourd’hui plus de mille huit cents employés au pays, partagés entre les magasins, le centre de distribution et le siège social. Où qu’ils soient, confirme Lyne Raymond, ces gens, « occupent des emplois très diversifiés allant de la création à la vente, en passant par les achats, le marketing, l’informatique, l’entretien, la manutention et la gestion. Ils sont tous essentiels au développement de l’entreprise ».

Il faut dire que le détaillant a le vent dans les voiles. En période d’effervescence, c’est jusqu’à trente nouveaux magasins qui ont été démarrés en une année. « Dans le commerce de détail, affirme François Roberge, la devise est grandir ou mourir. Nous avons choisi de grandir et d’occuper le plus rapidement possible notre segment de marché pour éviter que d’autres joueurs s’y intéressent. » La recette s’étant avérée gagnante, le président-directeur général lorgne désormais vers l’international, où il espère tirer parti de la véritable révolution économique qui secoue les pays émergents. Déjà plusieurs personnes sont à pied d’œuvre pour le compte de la firme au Maroc, au Liban, en Jordanie, en Égypte, en Arabie Saoudite, à Dubaï et dans les Émirats arabes unis. Et ce n’est pas terminé, puisque l’entrepreneur compte s’attaquer au marché chinois dès cet automne.

Des valeurs fortes
Ériger une telle structure en aussi peu de temps, tout en préservant la cohésion, exige une bonne dose de vision et de conviction. Peu à peu, pour soutenir sa croissance, l’entreprise s’est dotée de normes, de politiques et de procédures de gestion des ressources humaines. Du point de vue de Lyne Raymond, les valeurs véhiculées dans l’entreprise ont aussi largement contribué au succès de l’aventure. « Ici, dit-elle, on ne fait pas que parler de valeurs, on les vit. Le respect, l’intégrité, la solidarité, la qualité, l’ouverture d’esprit et la flexibilité sont des réalités pour tout le monde. Quand un problème ou une difficulté survient, on se sert les coudes et on trouve des solutions ensemble. Les choses se font spontanément, parce que tout le monde y croit et que tout le monde se sent partie prenante de l’entreprise. »

L’équipe de direction se fait en outre un devoir de donner l’exemple. Difficile de faire autrement quand, affirme la vice-présidente, ressources humaines, le président-directeur général lui-même fait preuve d’une « extraordinaire ouverture d’esprit » et marque, par chacun de ses gestes, le chemin à suivre. Encore aujourd’hui, en dépit de ses horaires extrêmement chargés, monsieur Roberge visite régulièrement les magasins où, dit-il, son plus grand bonheur est de « sentir l’énergie du client et de côtoyer ceux qui sont sur le terrain ». Son respect pour le personnel en place est d’ailleurs palpable. « Être en première ligne, avoir un beau sourire, accueillir les gens, ce n’est pas facile tous les jours; pourtant, nos employés le font. C’est formidable à voir et je tiens à ce que l’équipe de direction aille régulièrement en magasin pour le constater. C’est ce qui nous fait vivre. »

La reconnaissance est d’ailleurs centrale au sein de l’entreprise. Non seulement on salue les années de service des employés, mais on accorde un soin jaloux à l’identification des talents internes. Ainsi, illustre Lyne Raymond, « de nombreuses personnes, tout d’abord embauchées à temps partiel en magasin, se sont fait offrir un stage puis, au terme de leurs études, un emploi au siège social ou ailleurs ».

D’autres, employées à temps plein, ont peu à peu gravi les échelons. La mobilité est aussi encouragée pour favoriser le développement des employés. Quelques employés du Québec par exemple vont, pendant un an ou deux, ailleurs au Canada pour apprendre l’anglais ou parfaire leur maîtrise de cette langue. « Non seulement c’est stimulant pour eux, mais ça nous aide aussi, parce que ça nous permet de voir comment certains employés que nous jugeons intéressants réagissent dans des situations ou des contextes plus difficiles. Ça nous permet de voir s’ils ont réellement la capacité d’aller plus haut dans la hiérarchie », explique François Roberge. Plus encore, du point de vue de madame Raymond, « ces pratiques suscitent beaucoup d’intérêt chez les candidats ou futurs employés », ce qui est toujours intéressant en contexte de pénurie de main-d’œuvre.

Des défis et des moyens
À La Vie en Rose comme ailleurs, l’attraction et la fidélisation de la main-d’œuvre constituent en effet des défis importants, particulièrement en magasin. Pour contourner le problème, l’entreprise travaille en ce moment à établir des partenariats privilégiés avec les maisons d’enseignement. « Ce que nous voulons, explique Lyne Raymond, c’est aller chercher les jeunes qui font leurs études collégiales en gestion de commerce dès leur première année de formation. Ces jeunes sont intéressés par le commerce de détail. Ils veulent gérer un commerce, mais nous ne pouvons pas nécessairement leur confier un poste de gestionnaire après leurs études parce qu’ils n’ont pas d’expérience. Par contre, s’ils viennent travailler avec nous en magasin pendant leurs études, nous pourrons leur offrir un poste de gestion dès l’obtention de leur diplôme, parce qu’ils connaîtront nos façons de faire ainsi que le travail. »

Un soin particulier est aussi accordé aux conditions de travail des employés, aux avantages sociaux et au climat. À titre d’exemple, précise madame Raymond, « contrairement à ce qui se fait dans d’autres entreprises du secteur du détail, tous les employés à temps plein, qu’ils soient gestionnaires ou non, ont des avantages sociaux, une assurance collective, des congés personnels monnayables en fin d’année, etc. ».

Le détaillant mise de plus sur la formation des employés de toutes les catégories d’emploi. Anglais, service à la clientèle, gestion du temps… La vice-présidente, ressources humaines aime d’ailleurs rappeler que l’offre dépasse largement l’entraînement à la tâche et que l’objectif poursuivi est encore une fois le développement du plein potentiel de chaque personne, qu’elle soit à temps partiel ou à temps plein.

En complément, un travail de sensibilisation a aussi été accompli auprès du personnel de gestion. « En 2005, relate madame Raymond, la première fois que j’ai fait le calcul du taux de roulement dans nos magasins, le taux était anormalement élevé. Il fallait vraiment sensibiliser nos gestionnaires en magasin. Nous avons calculé le taux de roulement par magasin, par région, par catégorie d’emploi pour voir où était le problème et pour quelles raisons les employés partaient. Nous avons expliqué à quel point tout cela coûtait cher, que ça nous forçait à recommencer à chaque fois, que ça pouvait nous faire perdre des clients et aussi démotiver l’équipe. En moins d’un an, nous avons réussi à le réduire de 40 %.

Des sondages sont en outre réalisés périodiquement pour vérifier le climat de travail et la satisfaction du personnel. Les employés des magasins sont entre autres appelés à se prononcer une ou deux fois par année sur le service offert par le siège social et, de façon sporadique, sur le travail et l’attitude de leur gestionnaire. Des entrevues de départ sont par ailleurs effectuées. En cas de difficultés ou de besoins particuliers, des personnes-ressources sont disponibles au siège social pour soutenir les gestionnaires.

Penser à demain
Satisfait des bases solides établies et des réponses offertes aux problèmes éprouvés, François Roberge est optimiste quant à l’avenir. À terme, ce sont mille magasins et licences qu’il souhaite exploiter dans le monde, dont environ deux cents magasins d’entreprise au Canada. Pour garder le cap, il entend miser, comme aujourd’hui, sur une communication étroite avec ses employés et sur leur engagement. De fait, confirme Lyne Raymond, « dans un univers où tout bouge très rapidement, il faut savoir réagir vite, être flexible et maintenir une bonne communication avec tous les employés pour être certains que tout le monde regarde dans la même direction ». Pour y parvenir, l’entreprise utilise déjà divers canaux de communication. Elle porte aussi un soin particulier au message et veille à ce qu’il soit adapté aux interlocuteurs. À titre d’exemple, des dîners avec le personnel sont organisés au centre de distribution, tandis que l’équipe de haute direction en collaboration avec la direction des ventes tient des rencontres annuelles de planification.

Depuis peu, l’entreprise a aussi commencé à évaluer les processus d’affaires dans chacun de ses départements. Le mandat a été confié à la direction des ressources humaines. « Nous procédions déjà à l’évaluation de tous les employés une fois par année; maintenant, nous allons un cran plus loin. Ça confirme le fait que la gestion des ressources humaines occupe une grande place dans l’organisation et que nous sommes loin d’être cantonnés dans un rôle RH pur, où on se préoccupe uniquement d’embauche et d’avantages sociaux », précise la vice-présidente, ravie du nouveau défi qui lui incombe.

Pour François Roberge, l’objectif est de construire une entreprise solide, où chaque employé a le sentiment de s’accomplir, jusqu’à ce que la prochaine génération prenne la relève. « Récemment, nous avons proposé à une de nos employés de Toronto qui est d’origine chinoise d’aller en Chine pour prendre en charge l’ouverture de nos premiers magasins et transposer là-bas la culture de La Vie en Rose. Elle a accepté. Il est possible qu’elle y demeure par la suite pour travailler au service de notre partenaire d’affaires. Ce sont de belles histoires. C’est la raison pour laquelle j’ai envie de bâtir, pour qu’il reste quelque chose après. Un jour, je deviendrai incompétent, parce que l’entreprise aura davantage besoin d’un gestionnaire que d’un bâtisseur, mais quelqu’un sera là pour prendre la relève. »

Guylaine Boucher, journaliste indépendante

Source : Effectif, Volume 11, numéro 4, septembre/octobre 2008

Ajouté à votre librairie Retiré de votre librairie