Vous lisez : Tendances - Quand les entreprises se protègent…

Escorté sans mot dire jusqu’à la porte, fin de contrat abrupte, accès à l’ordinateur subitement coupé… À quel point les entreprises doivent-elles se protéger de leurs employés lors de licenciements?

Il y a quelques mois, pour licencier un groupe d’employés, la direction d’une entreprise du Québec a déclenché l’alarme de feu. Une fois l’opération « évacuation en cas d’incendie » terminée, elle n’a laissé entrer que ceux qui conservaient leur emploi. C’est sur le pas de la porte que les autres ont appris leur renvoi…

Si les entreprises ne faisaient jamais face à des restructurations et n’avaient dans leurs rangs que des employés compétents, honnêtes… Vient invariablement un temps où elles doivent mettre un terme à une relation de travail. Certaines oublient cependant d’agir avec tact. « Elles le font de mieux en mieux », constate toutefois Louise Brochu, CRHA, associée du cabinet en conseil de carrière Brochu et Labre.

Pendant que certains peaufinent et raffinent leurs démarches de licenciement, plusieurs « abusent » encore. « La façon de renvoyer dépend directement de la personne à la tête de l’entreprise, remarque une adjointe administrative de la direction des ressources humaines d’une banque. Notre ancien patron était la terreur de l’entreprise. Il prônait les cessations d’emploi immédiates. Celui qui est en poste depuis quelques années est humain. Il y a trois ans, on a fermé un service et licencié cent vingt employés. Les gens pleuraient. Nous n’avions pas l’intention de leur montrer aussitôt la porte. Ils discutaient encore dans le hall d’entrée à 17 heures. Par ailleurs, poursuit-elle, on a de moins en moins de congédiements pour cause de mauvais rendement, car les nouveaux employés sont bien encadrés. Leur période de probation dure de trois à douze mois. C’est à nous de corriger le tir à ce moment-là. »

« Une trop grande facilité à licencier engendre un roulement du personnel élevé et insécurise les employés », constate pour sa part Pierre Szalowski, ex-vice-président production d’Ubi Soft (1997 à 2000).

Et quand un employé demeure, malgré tout, incompétent ou peu motivé? Pour adoucir le choc en cas de renvoi, certaines entreprises encadrent le ou les employés affectés, en mettant à leur disposition un psychologue ou un conseiller en transition de carrière. « La direction tient à reconnaître l’apport de l’employé renvoyé, veut éviter qu’il soit amer et signifier à ceux qui restent qu’elle s’occupe bien d’eux », note Louise Brochu.

C’est souvent immédiatement après l’annonce du licenciement que les conseillers de Brochu et Labre entrent en jeu. « Nous gérons le facteur émotif, explique Louise Brochu. Nous prenons ensuite rendez-vous avec la personne renvoyée. Elle refuse rarement notre aide, car elle nous considère comme une bouée de sauvetage. Elle a besoin d’outils pour trouver un emploi. Elle doit se remettre sur pied, savoir se présenter en entrevue et se vendre. » Coût de l’opération pour l’ex-employeur? Chez Brochu et Labre, il en coûte 4000$ par individu pour un programme de trois mois, 6000$ pour six mois et 10 000$ pour un an.

« On doit faire preuve de considération et de respect, soutient la directrice des ressources humaines de Mindready Solutions, entreprise de solutions d’ingénierie. Le superviseur de l’employé est présent au moment du renvoi, dans un but empathique. Il peut ainsi bien répondre aux questions. Le soutien (révision de curriculum vitæ notamment) importe, car notre ressource, c’est l’employé. Il faut garder de bons liens, d’autant plus qu’il arrive qu’on réengage des gens mis à pied. »

« Certaines entreprises mettent en place des politiques connues des employés et précisées dans la convention d’emploi ou dans le guide de l’employé, explique Daniel Leduc, CRIA, avocat en droit du travail et emploi. D’autres appliquent des politiques connues uniquement des gens du service des ressources humaines. D’autres encore n’en ont pas et font du cas par cas. Cela dit, tout renvoi traumatise, même fait dans les meilleures conditions. »

Y a-t-il une bonne façon de licencier? « Chaque employé est différent, note l’adjointe administrative citée plus haut. Comme on ne fait pas affaire avec des numéros, on adapte les règles en fonction du type d’employé. »

Les entreprises agissent toutefois généralement avec plus fermeté dans les cas de congédiement (d’un employé pincé pour fraude ou vol par exemple). Une fois congédié, pas question que le fautif retourne à son bureau ou devant son ordinateur. Il n’est pas rare qu’il soit escorté jusqu’à la porte de l’entreprise aussitôt, sans passer par Go! « Nous sommes très prudents dans les cas de congédiement, affirme la directrice des ressources humaines de Mindready Solutions. Certains secteurs, comme celui de la recherche et du développement, sont très vulnérables. L’accès informatique est alors immédiatement coupé. Mais on permet à la personne congédiée de sauvegarder des informations personnelles sur cédérom, sous supervision. On recommande qu’elle revienne une fois la pression évacuée. Il faut se protéger, car sous le coup de l’émotion, qui sait ce qu’elle peut faire? »

Mieux vaut alors, dans de tels cas, suivre les agents de sécurité sans rechigner! « L’escorte peut toutefois donner lieu à des dommages pour abus de droit, dit Daniel Leduc. Elle peut être nécessaire dans un environnement où l’information est extrêmement importante et lorsqu’on pense que l’employé va réagir de façon spectaculaire. Mais il y a d’autres moyens auxquels on peut penser avant de congédier ou licencier quelqu’un. Faire l’annonce en dehors des heures d’emploi ou à l’extérieur du bureau en est un. On évite ainsi à l’employé l’odieux d’être confronté à ses collègues. »

« L’escorte est un acte un peu inhumain, juge Pierre Szalowski. On peut facilement arriver à un arrangement employeur-employé. » Ce Français, arrivé à Montréal pour implanter la filiale montréalaise d’Ubi Soft avec trois collègues, a mis du temps avant de s’habituer à la façon de faire québécoise.« Nous devions recruter trois cents personnes en un an, raconte-t-il. Nous n’embauchions que de jeunes diplômés qu’on élevait au grain Ubi. Nous étions ainsi plus patients, car nous observions à long terme. »

C’est donc après un an seulement qu’Ubi Soft a effectué son premier renvoi. « Nous ne savions vraiment pas comment procéder. Nous avons traité le congédiement avec la sensibilité française. C’est un acte dur à faire moralement en France où on fonctionne par préavis et où il faut un gros motif pour remercier quelqu’un. On a vraiment pris conscience de notre “droit à renvoyer” lorsqu’on s’est rendu compte que les gens quittaient facilement leur emploi ici. Ça nous a libérés et nous sommes devenus moins tolérants. »

Isabelle Massé est journaliste indépendante.

Source : Effectif, volume 6, numéro 1, janvier /février / mars 2003

Ajouté à votre librairie Retiré de votre librairie