Vous lisez : Gestion de la carrière à l'échelle internationale. Loin des yeux, loin du coeur ?

L'ère est à la mondialisation. De plus en plus d'employés sont orientés vers une carrière internationale. Parmi les défis auxquels font face les gestionnaires des ressources humaines, ceux de combler des besoins sans cesse croissants de personnel à l'étranger et de bien gérer des effectifs internationaux sont probablement parmi les plus complexes et, malheureusement, souvent parmi les plus négligés.

Que ce soit pour la très grande multinationale qui affecte quelques centaines d'employés à des postes à l'étranger, ou pour la petite entreprise spécialisée en technologies de l'information qui n'en emploie que quelques-uns, la gestion du personnel à distance, avec la difficulté supplémentaire de faire face à des législations différentes, demande deux fois plus d'attention de la part des gestionnaires que la gestion du personnel local. 

Pour bien comprendre la distinction entre un emploi local et une affectation à l'étranger, il faut d'abord revenir aux conditions fondamentales du contrat d'emploi. Celles d'un employé dans son pays d'origine peuvent être résumées simplement : Rémunération = Prestation de service.

L'employeur, dans ce modèle traditionnel, paie l'employé pour qu'il donne une prestation de service conforme aux attentes. L'employé est responsable de tous les facteurs en rapport avec sa vie personnelle et familiale sans que l'employeur n'ait à intervenir. Cependant, lorsqu'on ajoute une dimension internationale à un emploi, plusieurs autres éléments viennent s'ajouter du côté droit de l'équation : 

  • insécurité liée au déplacement et à l'éloignement; 
  • chambardement dans la vie personnelle et familiale; 
  • changement des responsabilités et absence de direction; 
  • manque de clarté du mandat; 
  • risques liés au retour et à la réintégration dans l'ancien emploi; 
  • changement culturel; 
  • maîtrise d'une langue étrangère; 
  • dans certains cas, s'ajoutent les risques politiques, les incidences sur la santé, les pratiques religieuses étrangères et une multitude d'autres facteurs. 

Les «expatriés» ont compris rapidement que ces éléments ont une valeur financière et que, plus le risque est élevé, plus la rémunération devra être ajustée à la hausse. Pour l'entreprise, le seul moyen de diminuer les coûts d'une affectation internationale est de diminuer le nombre de facteurs d'incertitude qui sont liés à celle-ci. 

Rémunération

Les facteurs mesurables sont aisément ajustés, habituellement par une politique de rémunération qui tient compte des différentiels de salaire, du coût de la vie, de primes associées au dérangement, du coefficient de pénibilité, des responsabilités liées au poste et des compensations fiscales. La méthode du bilan de rémunération est la plus répandue pour compenser ces facteurs mesurables et procurer un certain niveau de confort à l'employé qui, à tout le moins, ne subira pas de perte salariale du fait de son affectation. 

En ce qui concerne les facteurs plus subjectifs tels que la planification du cheminement de carrière, la perturbation de la vie de famille, l'intégration sociale au pays d'accueil, les garanties au retour et divers autres facteurs variables selon le pays d'affectation, l'entreprise voudra rassurer l'employé par la mise sur pied d'un processus bien défini de gestion de l'affectation et de la carrière. 

Planification de la relève

De plus en plus de dirigeants d'entreprise intègrent l'affectation internationale aux plans de relève. Il n'est pas rare de nos jours d'entendre le président d'une multinationale affirmer sans sourciller que tout cadre appelé à prendre la direction d'une division ayant un rayonnement international devra avoir fait ses classes par une affectation plus ou moins longue dans un pays étranger. L'objectif est louable, mais l'expérience démontre que le taux de roulement des cadres qui ont vécu une affectation à l'étranger est beaucoup plus élevé que la moyenne chez les autres cadres de l'entreprise. Pourquoi alors prendre le risque de perdre les meilleurs éléments de l'entreprise en les affectant à l'étranger? L'affectation internationale apporte-t-elle vraiment une valeur ajoutée importante pour l'entreprise? 

Comme dans toute initiative visant les plans de relève, il manque souvent de «deuxième souffle», de continuité dans l'effort. L'erreur stratégique se produit souvent bien avant le moment du retour de l'employé de l'étranger. En effet, elle se produit généralement avant le départ et pendant toute la durée de l'affectation. Certains gestionnaires considèrent comme infidèles les cadres sous leur responsabilité qui acceptent de «prendre des vacances à l'étranger». Ceux-ci les laissent sans recours, quittant leur poste habituel sans donner de préavis raisonnable. D'ailleurs, l'expression «expatrié» utilisée pour désigner les employés affectés à l'étranger comporte, de prime abord, une connotation négative. Il ne faut donc pas se surprendre si les employés à l'étranger ont l'impression d'être «loin des yeux, loin du cour». 

Sélection des candidats

Tous les cadres ne sont pas prêts pour un travail à l'étranger. La sélection du personnel est donc extrêmement importante. Il ne suffit pas d'avoir du succès dans son pays d'origine pour réussir à l'étranger. Le profil du candidat idéal peut varier selon le genre, la durée et l'endroit de l'affectation. 

Parmi les traits de personnalité requis pour réussir à l'étranger, priment un certain degré d'esprit d'entreprise, la capacité d'adaptation, l'autonomie, les valeurs personnelles, la créativité, le sens politique et le leadership. Il existe plusieurs méthodes d'évaluation des candidats en ce sens, et certaines sociétés et firmes de consultation ont conçu des processus d'analyse complets qui augmentent sensiblement le taux de réussite. Cette étape s'avère cruciale pour l'employé et pour l'entreprise, surtout si des membres de la famille accompagnent l'employé. 

Pour l'employé ayant à prendre la décision finale, l'étape de la réflexion sera déterminante dans le succès de l'affectation. Elle devra se faire avec la famille (si tel est le cas), indépendamment des autres facteurs mesurables et dans un délai raisonnable. Il ne s'agit pas d'évaluer l'apport pécuniaire de l'affectation à court terme, mais bien de réfléchir sur les incidences qu'aura cette affectation sur la carrière, sur les autres membres de la famille et sur la cellule familiale. Si des adolescents sont impliqués, il est primordial de les consulter. 

Cette étape préliminaire permettra à l'entreprise de bien sélectionner le candidat et à l'employé sélectionné de pouvoir se concentrer rapidement sur ses nouvelles responsabilités à son arrivée en pays étranger. Il est préférable de déceler et de traiter les difficultés avant le début de l'affectation puisqu'il est extrêmement rare qu'elles s'atténuent par la suite. Au delà des considérations humaines, le coût associé à un mauvais choix peut être très élevé. 

Inventaire des ressources

Certaines entreprises de la nouvelle génération ont une approche globale du développement de leur banque de candidats susceptibles d'être affectés à l'étranger. Pour faire l'inventaire des ressources disponibles, tous les effectifs sont regroupés par catégorie en fonction de leur degré de mobilité. Le tableau 1 présente un exemple simple des catégories d'employés d'une entreprise multinationale. 

Chaque catégorie sera établie selon les besoins particuliers de l'entreprise. La connaissance du degré de mobilité des employés permet à l'entreprise de faciliter et d'accélérer la sélection des candidats au moment où les besoins se font sentir, tout en permettant de donner un préavis raisonnable aux gestionnaires qui fournissent les candidats à même leurs effectifs. Cet inventaire devrait comprendre des données relatives aux aptitudes et compétences des candidats à des affectations à l'étranger telles que les langues qu'ils maîtrisent, l'expérience déjà acquise à l'étranger et les résultats alors obtenus, les habiletés particulières, etc. Tous les employés devraient avoir la possibilité de faire connaître leurs préférences quant à leur classement. Beaucoup d'entreprises se privent de candidats valables par le manque de communication. Cet inventaire devrait donc faire partie du processus de développement des plans de carrière et de relève de l'entreprise ou des discussions annuelles d'évaluation du rendement. Les changements de la situation personnelle de chaque employé au cours de sa carrière impliquent une mise à jour fréquente de la banque de candidats et de leurs compétences. 

Pour permettre une meilleure planification des besoins en personnel, l'entreprise maintiendra aussi un inventaire de ses besoins en pays étrangers. Le tableau 2 donne un exemple simple de ce type d'inventaire. 

Par l'appariement des inventaires des ressources et des besoins, l'entreprise pourra plus facilement satisfaire ses exigences en personnel à l'étranger et répondre de façon ponctuelle aux attentes de ses employés face à leur carrière. Le tableau 3 donne un aperçu d'un appariement simple. 

Il existe différents types d'affectation à l'étranger, et dans bien des cas, il s'agira pour les gestionnaires de répondre à un besoin urgent créé par une acquisition, un nouveau contrat, un problème urgent de l'exploitation, etc. Ces affectations ne visent habituellement pas le développement de la carrière de l'employé, car elles représentent une réponse à une urgence. Cependant, le suivi et la documentation de ces affectations par le service des ressources humaines du pays d'origine permettront d'identifier les ressources disponibles pour la prochaine urgence semblable. Les conditions d'affectation pourront être différentes suivant le type d'affectation, qu'elle vise principalement à améliorer la situation d'affaires de l'entreprise ou la carrière de l'employé. Pour l'employé en phase de développement, la reconnaissance du succès se fera principalement par son avancement, alors que l'entreprise qui doit combler un besoin d'affaires urgent devra peut-être augmenter la récompense financière. 

Puisque les gestionnaires sont réticents à consacrer leurs meilleurs éléments à la réalisation de projets à l'étranger, il sera important de communiquer ouvertement les programmes visant à fournir une assistance aux unités d'affaires étrangères, voire d'encourager les gestionnaires par l'intégration de ces programmes à leurs objectifs personnels de rendement. Ainsi, un programme de mentorat des employés affectés à l'étranger par les gestionnaires demeurés au pays d'origine permettra au gestionnaire de maintenir un contact régulier avec son «protégé» pendant l'affectation et encouragera son intégration au moment du retour. 

L'employé se sentira plus près de son employeur et de ses confrères du pays d'origine s'il reçoit régulièrement une rétroaction sur le degré de succès de son affectation par un supérieur en poste au pays d'origine. En fait, des études ont démontré que les cadres affectés à l'étranger désiraient le maintien d'un lien avec le pays d'origine que ce soit sous la forme d'un lien de subordination direct ou indirect, ou par une forme de mentorat. 

Comme la principale cause du haut taux de roulement des cadres affectés à l'étranger est le manque d'intégration des acquis au moment du retour, l'entreprise soucieuse de conserver ses meilleurs éléments établira un processus rigide de suivi des affectations et de leur succès de manière à prévoir, de concert avec l'employé, quelques mois avant son retour au pays d'origine, les étapes subséquentes du développement de sa carrière. 

Le choc culturel du retour peut être plus important pour l'employé que celui vécu au départ dans un pays étranger. Lorsqu'un cadre dirigeant a joué un rôle important, souvent primordial, dans une unité d'affaire étrangère, il peut lui être difficile de réintégrer un environnent plus traditionnel dans son pays d'origine et de perdre une certaine notoriété face à ses collègues. Le manque de planification du retour peut aussi entraîner des situations où le cadre sera temporairement affecté à des tâches administratives moins importantes jusqu'à ce qu'un poste se libère. Si ce délai s'avère trop long, ou si le nouveau poste ne présente pas un défi suffisant pour l'employé, le degré de fidélité peut s'en trouver affecté. 

Conclusion

Les règles d'attribution et de gestion des postes internationaux ne sont pas différentes des meilleures pratiques conçues dans le pays d'origine. Cependant, les ingrédients nécessaires au succès d'une affectation internationale seront différents. Sélection, suivi, documentation, intégration des acquis et croissance du défi sont tous des éléments importants dans la gestion des carrières des gestionnaires de haut niveau. L'élément clé est cependant l'attention constante requise par ces affectations. Lorsque l'on considère que le coût global d'une affectation prolongée à l'étranger excède souvent trois fois le salaire de base de l'employé, la saine gestion de ces affectations résultera en un meilleur contrôle des coûts pour l'entreprise. Quoique difficilement mesurable, l'incidence d'une gestion adéquate sur le taux de roulement du personnel mobile sera bénéfique et la liste des candidats disponibles s'allongera. On oublie souvent que la banque de candidats pour un poste à pourvoir à l'étranger devrait inclure les employés qui sont déjà à l'étranger. Leur taux élevé de satisfaction, à la suite de leurs premières expériences, peut faciliter la tâche au gestionnaire des ressources humaines lorsqu'il a à gérer de nouvelles affectations.

Tableau 1
Catégories d'employés selon leur degré de mobilité
Non mobiles  Géographiquement stables. 
Régionaux Prêts à se déplacer dans une région définie (habituellement dans le pays d'origine, mais peut-être vers une autre région donnée du globe). 
Mobiles Prêts à se déplacer pour l'avancement de leur carrière au pays ou dans un pays étranger. 
Internationaux Carrière mobile, pas de port d'attache. Cette catégorie inclut ceux que l'on appelle en anglais les «TCN» ou «Third Country Nationals». 
Étrangers Carrière dans leur propre pays, à l'étranger, selon les conditions d'emploi locales.

Tableau 2
Inventaire des besoins à l'étranger
Type  Définition  Durée  
Projets à durée définie  Établissement d'une relation d'affaires ou direction d'un projet  Court ou long terme  
Transfert de  technologie/d'expertise  Formation ou livraison d'un produit vendu ou apport d'une expertise spécialisée non disponible dans le pays d'accueil  Court ou long terme
Développement Étape de formation faisant partie du plan de relève  de l'entreprise   Court ou moyen terme
Rotation Affectations courtes liées aux différentes étapes d'un projet  Court terme en succession

Tableau 3
Appariement des besoins et des ressources
Catégories  Projet à durée définie  Transfert de technologie/d'expertise  Développement  Rotation  Autres 
Régionaux
Mobiles
Internationaux
Étrangers

 

Benoît Berthelot, CRIA, est directeur principal, chez Solution Mobilité Internationale Ernst et Young.

Source : Effectif, volume 3, numéro 3, juin / juillet / août 2000

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